Orienter l’épargne avec une garantie publique
Jean-Hervé Lorenzi, Le fondateur du Cercle des économistes estime que « les grandes transitions à venir — technologiques, environnementales… — vont nécessiter la mobilisation de sommes d’argent colossales »(Interview dans l’Opinion)
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Le Cercle des économistes organise ce mardi, en partenariat avec l’Opinion, une grande journée débat sur la finance et la sortie de crise. Pourquoi ce thème ?
Parce qu’il fait partie des grandes questions qui vont structurer le débat public dans les mois à venir, au côté de la jeunesse, dont il va falloir vraiment s’occuper, de la réindustrialisation, qui pose la question de la souveraineté économique, et de la recherche, qui est en déshérence totale dans notre pays. Nous avons déjà organisé trois événements autour de ces sujets, nous y ajoutons aujourd’hui celui du financement au sens large. Comment financer les dettes publiques ? Comment financer les dettes privées ? Comment faire revenir la finance vers l’économie réelle à l’heure du retrait des aides publiques ? Ces thématiques ne sont pas des solutions, mais des problèmes que nous avons décidé de poser dans le cadre de la préparation des Rencontres économiques d’Aix-en-Provence, qui se tiendront les 2, 3 et 4 juillet prochains.
« La finance ne peut pas tout », indiquait la semaine dernière Catherine Lubochinsky, membre du Cercle des économistes, dans nos colonnes. Est-ce à dire que l’Etat doit continuer durablement à soutenir l’économie ?
Toute la question est de savoir si les acteurs traditionnels de la finance sont prêts à prendre des risques de manière naturelle. Le grand débat, c’est celui de la garantie publique, que personnellement je préfère désigner sous le nom de garantie collective. Beaucoup de grands projets de développement, comme le nucléaire, ont été financés sur fonds privés avec la garantie de l’Etat. Les grandes transitions à venir — technologiques, environnementales… — vont nécessiter la mobilisation de sommes d’argent colossales. Sans garantie publique, on n’y arrivera pas.
En même temps, l’Etat va bientôt cumuler 3 000 milliards de dettes et plus 4 500 milliards d’euros de « hors bilan ». Peut-on continuer comme cela ad vitam ?
Ce n’est pas le problème central. La vraie question est de savoir si l’on bascule d’un Etat soutien à la demande à un Etat garant de l’offre. Cela veut dire basculer d’une assurance qui couvre l’individu — la Sécurité sociale — à une assurance beaucoup plus collective permettant de faire face aux défis majeurs qui nous attendent : transition écologique, technologique… Il nous faut une garantie sur les moyens et les capacités de rester dans le coup.
On ne va pas pouvoir payer à la fois les aides au logement et envoyer l’homme sur la lune…
L’environnement est de plus en plus hostile. La survie de l’humanité va nous obliger à hiérarchiser les problèmes. Très progressivement, mais de manière significative, nous allons basculer d’un Etat fordiste à un Etat plus soucieux de la préservation, d’abord et avant tout, de l’environnement. Mais attention, cette bascule ne peut se faire qu’avec une contrepartie politique qui est la réduction des inégalités.
« Evidemment, les impôts vont augmenter ; pas pour les ménages mais pour les entreprises. La finance va être le point nodal de ces grandes transformations »
L’endettement accumulé pendant la crise va-t-il provoquer une multiplication des faillites ?
Dette publique et dette privée ne sont pas cloisonnées. La première va prendre en charge une partie de la seconde. Je ne crois pas que cela devienne un souci majeur.
Se préoccuper de la dette publique n’est donc pas nécessaire ?
C’est un problème sans solution. Il est hors de question de l’annuler ou de la restructurer comme certains l’espèrent. Nous allons porter pendant des décennies une dette importante, mais avec une charge cantonnée grâce à une épargne mondiale qui va rester importante dans les pays qui n’ont pas de système social suffisant, comme en Chine par exemple où l’émergence d’une classe moyenne de plusieurs centaines de millions de ménages qui n’auront pas de retraite ou d’assurance-maladie favorise la constitution de cette épargne. Tout cela ne va pas changer dans la décennie qui vient. Le système finira par trouver une solution. Pour l’heure, sa charge est tout à fait supportable.
Que vont faire les Français des 160 milliards épargnés durant la crise ?
Il va certainement y avoir un fort rebond de la consommation au second semestre. Ce mouvement de joie durera deux ou trois mois puis les choses vont rapidement rentrer dans l’ordre. Les ménages ne sont pas idiots, ils voient bien que la France n’est pas au mieux de sa forme. Ils vont revenir à l’attention des risques. L’épargne des Français va rester à un niveau très élevé.
Comment l’orienter de manière efficace ?
C’est le sujet numéro un pour la finance. Et le mot-clé pour que l’épargne se dirige vers davantage de prise de risque, c’est la garantie. Il faudra des emprunts publics garantis. L’Etat doit devenir un facilitateur, sans être celui qui choisit. Nous vivons un moment de changement idéologique majeur. La question n’est plus question de savoir s’il faut plus ou moins d’Etat ou s’il faut se mobiliser ou pas contre le réchauffement climatique. La question est de savoir comment on finance les grandes transformations. Evidemment, les impôts vont augmenter ; pas pour les ménages mais pour les entreprises. La finance va être le point nodal de ces grandes transformations.
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