Élection présidentielle : les dangers qui guettent Macron (Julien Vaulpré)
Ex-conseiller de l’Elysée sous Nicolas Sarkozy, spécialiste de l’opinion, Julien Vaulpré est le directeur général de Taddeo. « Après un an d’épidémie, les Français sont dans un état de choc et de doute qui obscurcit leur jugement. C’est le flou qui caractérise l’opinion », analyse-t-il
(interview dans le journal l’Opinion.
Sur quoi va se jouer la fin du quinquennat d’Emmanuel Macron ?
La crise sanitaire n’est pas finie et nous ne connaissons pas la date de fin de cette pandémie, l’OMS parle d’ailleurs de 2024. Même si Emmanuel Macron souhaite passer à une autre étape, le pays va devoir continuer à vivre avec le virus avec, espérons-le, moins de restrictions. Ce qui signifie que politiquement, Emmanuel Macron ne sera pas débarrassé de la pandémie et il n’est pas improbable qu’elle soit encore présente lors de la campagne présidentielle. L’opinion publique sera très attentive à la façon dont les autres gouvernements européens font face à ces évènements et ses conséquences économiques. Le Président doit donc montrer que la France sort honorablement de la crise sanitaire et qu’elle est bien placée pour rebondir économiquement. Il est important pour lui qu’elle soit a minima dans la moyenne européenne sur ces deux plans.
Les confinements, en restreignant les contacts sociaux et échanges, notamment à la sphère familiale, produisent des auto-renforcements de groupe, accélérés par l’unique échappatoire des réseaux sociaux, déformant structurellement l’opinion vers les positions radicales, voire conspirationnistes
Quel sera, dans ce contexte, son défi ?
Il en a plusieurs. Même avec la vaccination, le virus ne sera pas totalement éradiqué. L’épidémie continue de circuler et ce qui la caractérise, c’est son imprévisibilité. Il doit ainsi impérativement parvenir à tenir le risque sanitaire à distance et à ne pas se faire rattraper par le virus de façon trop forte alors que, depuis plusieurs mois, il fait le choix courageux d’essayer de faire vivre les Français avec celui-ci. Ensuite, il doit remobiliser les pays. Le titre de la dernière note de conjoncture de l’Insee résume bien les choses : « reprise : si loin si proche ». Après un an d’épidémie, les Français sont dans un état de choc et de doute qui obscurcit leur jugement. C’est le flou qui caractérise l’opinion. Psychologiquement, les Français sont lassés par un an d’épidémie et de restrictions. Economiquement, certaines catégories et plusieurs secteurs sont considérablement affaiblis. Politiquement, le scepticisme atteint des records : les manquements de l’Etat, les difficiles vérités du gouvernement ont fini de saper la croyance en la parole publique déjà très affaiblie lors de l’entrée dans la crise. La confusion domine quant au présent et à l’avenir. Dans les prochains mois, le chef de l’Etat a un rôle décisif pour projeter le pays dans l’après, psychologiquement et économiquement, et dans cet après, il doit être très vigilant à éviter un trop grand morcellement de la société. La crise a multiplié les divisions entre les Français. Sa durée est devenue une machine à morceler une société déjà fracturée. La crise économique a exposé d’abord les plus fragiles et les précaires, dressant un mur entre les visibles et les invisibles. Elle a ouvert les tranchées entre secteurs professionnels, réveillant une passion de l’égalité et de la comparaison de l’essentiel et de l’inessentiel. Autre rouage de la machine, les confinements, en restreignant les contacts sociaux et échanges, notamment à la sphère familiale, produisent des auto-renforcements de groupe, accélérés par l’unique échappatoire des réseaux sociaux, déformant structurellement l’opinion vers les positions radicales, voire conspirationnistes.
Jusqu’où la crise sanitaire sans fin a-t-elle changé la donne pour lui ?
Le mandat d’Emmanuel Macron est particulièrement singulier, sa première année fut sidérante. Il est devenu Président en quelques instants, il maîtrise parfaitement sa communication, lance de nombreuses réformes emblématiques, exerce un contrôle total et efficace sur le dispositif gouvernemental avec peu de couacs et des oppositions figées. La crise des Gilets jaunes a mis en lumière que même avec Emmanuel Macron vainqueur, la France n’échappait pas la colère des classes moyennes et inférieures qui est le fait politique central de ces dernières années dans toutes les démocraties occidentales. Cette colère n’avait pas trouvé de débouché politique lors de l’élection présidentielle de 2017 mais elle s’est violemment exprimée à l’occasion de cette crise soulignant les points faibles du projet macroniste et la verticalité du pouvoir. La crise sanitaire a eu un autre effet : elle met à nu la faiblesse de l’Etat. C’est Emmanuel Macron qui pourrait dire aujourd’hui qu’il est à la tête d’un Etat en faillite. Cette crise aura révélé au grand jour les failles du modèle français : un problème de commandement collectif au sein de l’appareil d’Etat, un niveau de dépenses publiques parmi les plus élevés mais qui s’est avéré peu efficace et une bureaucratie qui a agi avec un zèle tout particulier. Avec dans l’ensemble une grande confusion et une question « où va l’argent ?», « où va le pognon de dingue ? » Enfin, d’un point de vue psychologique, cette crise a blessé l’orgueil de Français : les faiblesses de l’Etat, le fait de ne pas être un pays producteur de vaccin, les retards, même si au fond, ils ne sont pas si importants, auront marqué l’opinion. Ce sont autant d’éléments supplémentaires dans le climat général dont il doit tenir compte.
La pandémie a-t-elle emporté le reste du quinquennat ou le macronisme a-t-il gardé quelques fondamentaux ?
Au fond, la grille de lecture qui a présidé à son élection a immédiatement été datée : la libéralisation de l’économie, le pragmatisme, le gouvernement des experts, l’efficacité managériale, bref le programme de la troisième voie n’était plus dans l’air du temps et la crise des Gilets jaunes, en faisant surgir les perdants de la mondialisation, l’a mis à mal. Le macronisme est entré dans la crise affaibli mais comme elle a figé le paysage politique et que le Président n’est pas enfermé dans une idéologie, il a le choix du terrain. Parmi les promesses du macronisme, il y a le mouvement et la transformation. Ce sont deux thèmes qui sont certes très vastes mais qu’il va pouvoir investir et qualifier. Par ailleurs, je pense que la présidentialité d’Emmanuel Macron reste un atout important. Certes il est critiqué mais il conserve l’estime des Français, personne ne peut dire qu’il n’est pas au niveau.
Avec l’épisode de l’OPA à demi réussie concernant la liste LR en Paca, le Président veut faire la preuve que l’alliance entre lui et la droite est désormais inéluctable, les extrêmes d’aujourd’hui se rejoignant dans la détestation du libéralisme avec l’idée qu’il faut relocaliser la production dans le fameux «terroir qui ne ment pas»
A-t-il vraiment réussi à venir à bout du clivage droite-gauche ou celui-ci est-il en train de renaître ?
Emmanuel Macron s’est qualifié au second tour de l’élection présidentielle grâce aux voix de gauche et a nommé un Premier ministre issu de la droite. Il a ainsi pulvérisé le paysage politique. Par ailleurs, depuis son élection, il mène davantage une politique de centre droit que de centre gauche. La gauche est totalement morcelée et la droite extrêmement fragilisée. Le clivage droite-gauche semble totalement enseveli. Idéologiquement, la droite est en train de muter : dans toutes les grandes démocraties occidentales, les conservateurs jettent aux orties l’idéologie libérale héritée du reaganisme. Quant à la gauche, elle ne pèse plus que 25 % au premier tour de l’élection présidentielle alors qu’elle a besoin de se rapprocher des 45 % des voix pour espérer l’emporter. Historiquement, Emmanuel Macron vient de la gauche, et il est parvenu à incarner l’ancienne droite ordo-libérale, enlevant aux Républicains la thématique de la réforme et de la modernisation de l’économie. Avec l’épisode de l’OPA à demi réussie concernant la liste LR en Paca, le Président veut faire la preuve un an avant la présidentielle que l’alliance entre lui et la droite est désormais inéluctable, les extrêmes d’aujourd’hui se rejoignant dans la détestation du libéralisme avec l’idée qu’il faut relocaliser la production dans le fameux « terroir qui ne ment pas ». Un élément supplémentaire vient faire voler en éclats ce qu’il pouvait rester des anciennes appartenances idéologiques. Nous observons en effet un paradoxe puissant : jamais la France n’a été autant à droite (plus de 50 % des Français se déclarent de droite, revendiquant ainsi en réalité une appartenance qui recouvre des réalités différentes) et pourtant jamais la demande d’assistance et de protection n’a été si grande, jamais les Etats n’ont autant dépensé pour assurer la survie des plus pauvres, la protection des chômeurs, des artistes, des restaurateurs, des ouvriers, des patrons, et l’économie n’a jamais été aussi dirigiste et moins libérale. Donc pour répondre à votre question : oui, Emmanuel Macron est venu à bout de clivage droite-gauche tel qu’il existait.
A un an de la présidentielle, qui menace le plus le chef de l’Etat ?
Un rebond inattendu de la situation sanitaire est toujours possible ce qui ferait entrer le pays dans un état psychologique inconnu. Par ailleurs, il ne faut pas sous-estimer que cette période a inévitablement créé parmi les Français un ressentiment accumulé au cours de toutes ces semaines de restrictions et il est difficile de croire que cet état d’esprit n’aura pas de conséquence politique. Deux sujets sont également importants : ce sont les questions de sécurité et l’immigration sur lesquelles Emmanuel Macron est en difficulté structurelle depuis le début de son mandat. Un évènement ou une accumulation d’évènements liés à ces questions peuvent avoir un effet significatif dans la compétition électorale qui s’ouvre. Enfin, sur la forme, il doit être vigilant à apparaître sincère et la question écologique vient rappeler régulièrement une conviction qui peut sur certains thèmes évoluer un peu trop fortement.
2022 sera-t-elle une élection désenchantée ? Qu’en attendent les Français ?
A ce stade, les deux principaux candidats enregistrent tous les deux un niveau d’adhésion faible. Il n’y a pas d’enthousiasme autour d’Emmanuel Macron, ni de Marine Le Pen. Le risque c’est qu’en effet les Français n’attendent plus grand-chose de cette élection et s’éloignent du débat démocratique et électoral. Sur le fond je pense qu’après cette crise, après la colère sociale des Gilets jaunes, les Français sont lassés par l’idéologie de la liberté et de l’émancipation individuelle, qu’au fond, ils aspirent à refaire société et pour cela il faut leur redonner le chemin et le goût d’être des citoyens et non plus simplement des individus.
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