Suppression de l’ENA : « des vertus démagogiques «
Tribune.
Ainsi, le président de la République, qui en est issu, a décrété la fin de l’Ecole nationale d’administration (ENA). La mesure est censée satisfaire les « gilets jaunes », à défaut de répondre à leurs angoisses concernant leur vie quotidienne et le mépris des élites pour les territoires considérés comme périphériques.
Il est pourtant convenu que s’attaquer aux symboles pour ne pas avoir à traiter les problèmes en profondeur, de même qu’une attention excessive à la communication au détriment de l’essentiel, n’est pas un signe de bon gouvernement. On rappellera la citation rebattue de l’écrivain sicilien Giuseppe Tomasi de Lampedusa (1896-1957) : « Si nous voulons que tout reste pareil, il faut que tout change ».
Et si le problème, de surcroît, était, délibérément ou non, mal posé ? Car voilà une grande école, l’ENA, qui a démontré sa capacité à se réformer, notamment sous l’impulsion de son actuel directeur, qui a fait une place croissante dans les enseignements à la mise en situation et à la rencontre sur le terrain des acteurs les plus divers. Il est surtout reproché à l’école de reproduire les inégalités sociales.
Mais n’est-ce pas d’abord, en amont, une caractéristique du système français d’éducation, dominé par les grandes écoles au détriment des universités ? Parmi les premières, Sciences Po, principal pourvoyeur de l’ENA, dont l’affaire Olivier Duhamel a mis récemment en lumière les faiblesses de la gouvernance. La crise a fait s’effondrer comme un château de cartes l’administration de l’établissement, et a mis au jour l’influence exorbitante dont jouissent des membres « fondateurs » qui n’ont en réalité rien fondé du tout.
L’enjeu de cette affaire ne saurait être minimisé. Il y va d’abord de la nation, de la construction séculaire d’une administration d’État dotée d’une culture propre, dite « d’intérêt général », capable de résister, par-delà les réformes successives, à « l’envahissement de tout par la langue de bois gestionnaire », selon les termes de Pierre Legendre qui, voilà déjà plus de vingt ans, prophétisait, à propos de l’ENA précisément : « Il ne suffit pas de cracher dans la soupe, comme dit le langage populaire, pour vous exonérer des traditions qui vous ficellent. »
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