Nouveau plaidoyer pour l’ENA
Par Daniel Keller, président de l’Association des anciens élèves de l’ENA (AAEENA)
Le gouvernement souhaite rendre le service public plus efficace en dynamisant la gestion des carrières des hauts fonctionnaires et en donnant plus de place à la formation initiale et continue dont ceux-ci devraient bénéficier. Sur le papier, on ne peut que partager de tels objectifs. Ce qui peut en revanche interpeller, c’est l’idée que la réalisation de cette ambition devrait nécessairement passer par la suppression de l’ENA et une refonte en matière de gestion des corps.
Le premier volet de la réforme sous-entend pudiquement que l’Etat n’a pas à ce jour de réelle gestion prévisionnelle des emplois de ses hauts fonctionnaires, voire n’utilise pas au mieux toutes les ressources humaines disponibles. Un constat sur le fond accablant. Une délégation interministérielle sera chargée demain de mettre fin au fonctionnement en silo qui caractérise les administrations en promouvant une gestion transversale des parcours. Vaste ambition mais dont l’effectivité demande avant tout qu’on mette fin aux différences de rémunération entre les administrations, comme le reconnaît la Ministre de la Transformation et la Fonction publiques. Ce serait une bonne manière de commencer.
L’esprit de 1945. La réforme a également la noble ambition de pousser les jeunes hauts fonctionnaires à se confronter à des métiers opérationnels avant qu’ils ne choisissent éventuellement des fonctions juridictionnelles, d’inspection ou de contrôle. Il s’agit pour la Ministre de renouer avec l’esprit de 1945. Mais dans ce cas il faut aller au bout du raisonnement. L’ENA a été conçue comme une école d’application dont la scolarité devait précisément donner aux élèves les prérequis opérationnels nécessaires au bon exercice de leur mission. A cet effet la scolarité de la promotion Félix Eboué durait deux ans et demi dont 18 mois de scolarité contre six mois aujourd’hui. Cherchez l’erreur ! C’est en revenant à une durée de scolarité digne de ce nom qu’on rendrait à la formation le contenu qu’elle aurait dû ne jamais perdre. C’est d’ailleurs ce que l’ENA avait commencé à mettre en œuvre dans le cadre de la réforme de la scolarité. On eût gagné à la laisser aller jusqu’au bout.
Libre ensuite aux pouvoirs publics de changer la typologie des postes offerts à la sortie de l’Ecole en privilégiant des fonctions opérationnelles si telles sont les priorités du moment. La rupture sera nette quand on sait qu’aujourd’hui 40 % d’une promotion préfère justement se destiner vers des fonctions juridictionnelles, d’inspection ou de contrôle.
« L’Etat assemble des métiers différents les uns des autres et on ne peut bondir d’un poste à l’autre au gré de la volonté du Prince »
La fonctionnalisation des métiers est également présentée comme un vecteur de mobilité renforcée et le gage d’un meilleur emploi des ressources humaines disponibles. Il n’en reste pas moins vrai que l’Etat assemble des métiers différents les uns des autres et qu’on ne peut bondir d’un poste à l’autre au gré de la volonté du Prince. L’Etat y perdrait en efficacité et en légitimité. Espérons que cet écueil sera évité !
Beaucoup s’inquiètent également du fait que cette fonctionnalisation pourrait fragiliser l’indépendance des missions exercées tout particulièrement lorsqu’il s’agit des fonctions de contrôle. De fait, il n’est pas absurde que celles-ci puissent en toute autonomie vérifier que l’intérêt général ne subit aucun préjudice dirimant de la part du gouvernement du moment, quel qu’il soit.
Ambition. Venons-en à la question de la formation. Le gouvernement annonce que l’Institut du service public (l’ISP, qui remplacera l’ENA) deviendra un pôle d’excellence en matière de formation initiale susceptible de délivrer des diplômes et qu’il se dotera même d’un corps professoral permanent. Mais alors pourquoi s’accrocher au statut d’établissement public administratif qui semble peu en phase avec cette ambition ? Cela étant, pour ce qui concerne la formation initiale, en dehors des modules qui constitueront le tronc commun aux treize écoles concernées, on peine encore à identifier les innovations pédagogiques qui devraient révolutionner le contenu des enseignements.
« C’est peut-être oublier un peu vite que l’ENA forme d’ores et déjà à ce jour environ 7 000 hauts fonctionnaires par an »
La formation continue devrait être aussi le fer de lance de cette réforme et transformer l’ISP en opérateur de formation pour que les hauts fonctionnaires français et étrangers puissent actualiser leurs connaissances tout au long de leur vie. Dans un monde où l’obsolescence de savoirs est de plus en plus rapide, cette intention est louable. C’est peut-être oublier un peu vite que l’ENA forme d’ores et déjà à ce jour environ 7 000 hauts fonctionnaires par an. Souhaitons à l’ISP de faire aussi bien.
On ne peut enfin contester l’idée que le service public doit être plus proche des citoyens, plus agile et plus humain comme la réforme l’envisage. Nous avons en effet besoin de responsables rompus aux règles de l’efficacité opérationnelle, mais on a aussi besoin de nouveaux hussards noirs capables de redonner aux citoyens la confiance dans leur pays qu’ils semblent avoir perdue. Nous sommes nombreux à penser que l’ENA remise sur pieds pourrait parfaitement concourir à la réalisation de cette ambition. Il n’est peut-être pas trop tard !
Daniel Keller est président de l’Association des anciens élèves de l’ENA (AAEENA)
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