Un manque de démocratie en Afrique… mais ailleurs ?
Président de la République du Niger pendant dix ans, Mahamadou Issoufou s’est retiré de la vie politique à l’issue de son deuxième mandat, au début du mois. Détendu et serein après avoir transmis le flambeau à son successeur Mohamed Bazoum, il reçoit l’Opinion à Niamey et se confie sur cette transition démocratique réussie et ses futurs combats.
Vous avez respecté la Constitution du Niger. Pourquoi n’avez-vous pas été pris, comme d’autres chefs d’Etat africains, par la tentation de l’ignorer pour effectuer un troisième mandat ?
J’ai commencé mon combat politique dans la clandestinité en 1980. Mohamed Bazoum a composé un autre groupe clandestin, trois ans plus tard. Nous avons fusionné nos deux groupes en 1990 pour fonder, à l’avènement du multipartisme, le Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS-Tarayya), non pas sur une base ethnique, communautariste ou régionaliste mais autour de valeurs fondatrices. En tant que chef de l’Etat, j’ai essayé de les respecter. Mon comportement est lié à mes convictions. L’Afrique n’a pas besoin d’homme providentiel. Elle n’a ni besoin de dictature ni d’anarchie. La meilleure façon d’éviter ces écueils est d’avoir des institutions fortes et non pas des hommes forts, comme l’a expliqué Barack Obama. Ces institutions démocratiques doivent fonctionner quel que soit le dirigeant à leur tête. L’autre objectif est la modernisation de la politique et sa détribalisation. Souvent, les hommes politiques africains tombent dans le piège, en instrumentalisant leur communauté. Au moment des élections, cela donne lieu à des affrontements intercommunautaires. Il faut en sortir comme nous sommes en train de le faire au Niger. Le nouveau président appartient à une minorité arabe. C’est un message fort envoyé aux autres peuples d’Afrique. Un projet présidentiel doit être érigé sur un socle de valeurs, dans le sens de l’intérêt général. C’est ma vision, celle de mon parti et celle du président Bazoum. J’espère que cette alternance va réussir et fera tache d’huile en Afrique. Car si ce modèle échoue, les vieux modèles persisteront.
A-t-on essayé de vous dissuader de partir ?
Des chefs d’Etat m’ont conseillé de rester. Des partisans m’ont aussi demandé de faire un troisième mandat en organisant des manifestations. Ils ont été interpellés par la police.
Pourquoi avoir choisi Mohamed Bazoum comme successeur ?
On se connaît depuis trente ans. Je l’ai rencontré la première fois le 1er août 1990 dans une maison du quartier Nouveau marché à Niamey après avoir eu des contacts indirects, via nos camarades, depuis 1986. J’étais à l’époque à la tête de la Société des mines de l’Aïr [Somaïr, ex-filiale d’Areva]. Lui était jeune professeur de philosophie à Maradi. C’était l’époque des partis uniques. Nous avions un projet marxiste révolutionnaire qui n’avait rien de démocratique. Nous l’avons abandonné à l’avènement du multipartisme, après le discours de La Baule de François Mitterrand et la Conférence nationale du Bénin. Le lendemain de cette première rencontre, nous nous sommes revus et avons décidé de fusionner nos deux groupes clandestins, d’écrire le manifeste du futur parti et de préparer son assemblée générale fondatrice. Elle s’est tenue le 23 décembre 1990 et je suis devenu le premier secrétaire exécutif provisoire. Depuis, il a presque toujours été mon second, à l’exception des premiers six mois où cette fonction était assumée par Foumakoye Gado, l’ex-ministre du Pétrole. A partir de 1995, nous avons créé une direction de la formation avec un poste de président, un poste de de vice-président et un secrétaire général.
N’y a t-il jamais eu de tensions entre vous durant ces trente ans ?
Je n’ai pas le souvenir d’une quelconque anicroche. On y est parvenu car nous avons les mêmes convictions, les mêmes valeurs, la même vision. On a pu avoir certaines divergences mais nous étions et sommes toujours d’accord sur l’essentiel. Mohamed Bazoum ne m’a jamais demandé un poste. Mais il n’avait pas besoin de le faire à partir du moment où nous avons toujours pris les décisions de manière collégiale, en y associant notre équipe. Celle-ci joue un jeu collectif. La confiance de la formation était donc naturelle. Nous n’avons pas eu besoin d’aller chercher un autre porte-drapeau à l’heure où j’ai voulu tirer ma révérence. En 2011, j’ai donc proposé à nos camarades qu’il prenne la présidence du PNDS. Et neuf ans plus tard, il a été désigné à l’unanimité candidat à la présidence lors d’un congrès. S’il y a eu des tentatives de candidatures dissidentes, nous avons pu les régler au sein de la famille.
Quelles sont les qualités du nouveau président ?
Mohamed Bazoum est un homme de convictions. Il est intègre, courageux et fidèle en amitié. C’est un patriote qui aime son pays. Il est déterminé à se mettre au service de son peuple. Il porte aussi un projet panafricaniste.
Vous auriez confié à l’un de vos pairs africains : « Je ne m’immiscerai pas dans sa présidence mais s’il a besoin de moi, je serai toujours à ses côtés pour lui dire la vérité et lui prodiguer des conseils »…
Je ne serai pas là pour le gêner mais notre complicité va se poursuivre car je tiens à ce que cette alternance réussisse. Lui et moi ferons tout pour cela. Son échec serait notre échec à tous, celui de notre modèle. Nous sommes fidèles au socialisme démocratique et non pas au socialisme scientifique.
«Il y a une malédiction des ressources pétrolières si elles sont mal gérées. C’est pour cela que nous avons besoin d’institutions promotrices de la bonne gouvernance. C’est ce à quoi nous nous attelons»
Le Niger a t-il besoin de parfaire ses institutions ?
Le plus important est de les conforter pour avoir un régime politique stable, une croissance inclusive et une transition démographique. Les deux dernières conditions sont liées au succès du régime démocratique pour assurer la bonne gouvernance. Nous n’irons pas jusqu’à faire comme la Chine avec sa politique de l’enfant unique. Mais nous devons sensibiliser les Nigériens à la nécessité d’un meilleur contrôle de la démographie à travers notamment les programmes de santé de la reproduction. Nous avons obtenu un taux de croissance économique de 6 % lors de la dernière décennie mais cette croissance a été absorbée pour l’essentiel par l’essor démographique de 4 % par an. Le PIB réel par habitant n’a donc augmenté que de 2 %. Ce n’est pas suffisant. A ce rythme, il faudrait quatre-vingt-cinq ans pour que le Niger atteigne le revenu annuel plancher des pays émergents (3 000 dollars par habitant). Nous avons besoin d’abréger cette période en accélérant le développement et en ayant une meilleure répartition des richesses, afin de lutter contre la pauvreté. La réduction d’un point du taux de croissance démographique nous permettrait de gagner trente ans. Si on augmente parallèlement le PIB de deux points, nous gagnerons cinquante ans.
N’avez-vous pas peur de la malédiction pétrolière, alors que les revenus des hydrocarbures vont croître dans les années à venir ?
Il faut en avoir peur. Il y a une malédiction des ressources pétrolières si elles sont mal gérées. C’est pour cela que nous avons besoin d’institutions promotrices de la bonne gouvernance et de tirer bénéfice de l’exemple de pays comme la Norvège. C’est ce à quoi nous nous attelons. La production sera multipliée par cinq d’ici 2023. Nous visons de la porter au-delà des 300 000 barils par jour en 2028. Cela nous permettra de poursuivre les chantiers d’infrastructures routières, ferroviaires, énergétiques, de télécommunications. Et de financer le capital humain à travers une ambitieuse politique de santé, d’éducation – particulièrement des jeunes filles –, d’accès à l’eau…
Votre retraite sera être active…
Je vais continuer à mener des combats pour soutenir l’action du président Bazoum et pour l’émergence de l’Afrique. C’est pour cela que j’ai décidé de créer la Fondation Issoufou-Mahamadou. Son principal but sera de promouvoir la paix, la démocratie, le panafricanisme, le développement du capital humain et la lutte contre le réchauffement climatique. Les actions nationales ne peuvent avoir d’impact que dans un cadre continental et même mondial. En Afrique de l’ouest, nous avons déjà avancé sur le projet de monnaie unique. Nous avons aussi fait aboutir le projet de zone de libre-échange continentale. Au lendemain des indépendances, nous avons échoué à mettre en œuvre les politiques de substitution aux importations, notamment car nos marchés nationaux étaient trop restreints. Le marché du Niger est de 22 millions d’habitants, celui de l’Afrique de 1,3 milliard. Le continent doit engager une politique industrielle de transformation de ses matières premières afin d’améliorer ses revenus. La fève de cacao ne représente que 5 % de la valeur du chocolat, le coton peut-être 2 % de la valeur du tissu. Il faut sortir du pacte colonial mis en place au XIXe siècle.
Les matières premières partent aujourd’hui en Asie, particulièrement en Chine. La nature de ce pacte colonial n’a-t-elle pas évolué ?
Peu importe où partent ces matières premières. Le pacte perdurera tant que nous ne serons pas des producteurs de produits finis. Cela nous permettrait de lutter contre la pauvreté qui a alimenté le terrorisme. Il ne peut y avoir de paix dans un monde où il y a trop d’inégalités. Nous sommes revenus à la situation d’avant la Première Guerre mondiale en matière d’inégalités.
Depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011, le Sahel est en proie au terrorisme et aux affrontements communautaires. Comment renouer le fil social ?
Tous nos malheurs viennent de Libye. Qui a créé cette situation ? Nous a-t-on demandé notre avis avant de déclencher cette guerre ? Je l’ai appris à la radio alors que mon pays partage une frontière de plus de 350 km avec ce pays. On reproche aux pays africains de ne pas promouvoir la démocratie ; existe-t-elle au niveau de la gouvernance mondiale ? C’est le système de gouvernance politique et économique mondial qu’il faut changer. Le modèle des politiques keynésiennes issues de la Seconde Guerre mondiale a été dévoyé par la politique néolibérale des années 1980. C’est l’ultralibéralisme, et non pas le libéralisme, qui est en cause. Il faut profiter des chocs climatique, sécuritaire, sanitaire pour définir et mettre en place un nouveau modèle. Cela passera par la démocratisation de la vie politique internationale. Elle permettrait d’éviter les fautes commises en Libye et en Irak. On pouvait aimer ou pas Saddam Hussein mais son élimination a abouti à la création de l’Etat islamique par certains de ses anciens collaborateurs. L’Etat islamique au Grand Sahara en est aujourd’hui la conséquence. Nous payons le prix des politiques interventionnistes mal réfléchies, depuis l’Afghanistan jusqu’au Sahel. Nous devons agir sur trois piliers : la défense, le développement, la démocratie.
Les menaces sécuritaires justifient-elles à vos yeux la mise en place de conseils militaires de transition comme au Tchad ?
Le président Déby était un frère, un ami. Sa mort m’a profondément choqué. C’est une tragédie. C’est une catastrophe pour le Tchad et au-delà pour l’Afrique. Des erreurs et même des fautes ont été commises en Libye avec les conséquences que l’on sait sur le Sahel et le bassin du Lac Tchad. Nous avons le devoir d’en tirer des leçons pour éviter que le Tchad ne bascule dans l’anarchie. Les pays du G5 Sahel et leurs alliés, notamment la France, en ont pleinement conscience. Le Tchad a besoin de notre solidarité pour accomplir sa transition démocratique.
Serez-vous disponible si l’ONU ou l’Union africaine font appel à vous ?
Je suis un militant, avant tout un homme d’action. Si la communauté internationale ou l’UA font appel à moi, je me rendrai disponible. Je peux continuer à rendre service en tant que simple citoyen.