Revenu universel et travail

 

 

Jean Latreille, Professeur agrégé de sciences économiques et sociales  explique, dans une tribune au « Monde », que le revenu universel devra rémunérer une gigantesque quantité de tâches indispensables au sauvetage de la planète, et espère que les gens se détournent des activités marchandes uniquement créatrices de profit.

 

Tribune.

 

 C’est officiel : le revenu universel (RU) n’est plus un gadget socialiste. La preuve : The Economist, le très distingué hebdomadaire britannique, en a fait la « une » de son édition du 2 mars (traduit dans Courrier international n° 1588, 8 au 14 avril 2021). Les « indemnités Covid », très largement versées dans les pays riches, l’ont remis pour quelque temps à l’agenda politique.

Projet utopique pour les uns, cauchemar pour les autres, les adversaires du RU tournent leurs regards depuis l’origine dans la même direction : vers le « surfeur de Malibu » ! C’est avec cette figure emblématique du parasite social américain que John Rawls, philosophe de la justice sociale, avait interpellé son jeune collègue belge Philippe Van Parijs, farouche défenseur du revenu universel. La question posée était la suivante : le RU va-t-il détourner de la saine obligation de travail rémunéré des cohortes entières d’enfants gâtés de la société de consommation en leur permettant de sauter sur l’occasion pour ne plus jamais rien faire d’utile socialement ?

Car le système marchand est fait pour que l’on travaille pour lui à plein temps. C’est à cette obligation que Margaret Thatcher (1925-2013) [première ministre du Royaume-Uni de 1979 à 1990] faisait allusion en rappelant aux chômeurs les paroles de saint Paul : « Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus. » Cette injonction au travail était odieuse de la part de quelqu’un qui pensait que le chômage est toujours volontaire, et qu’il ne pouvait être que la conséquence de la volonté individuelle de crever joyeusement de faim plutôt que de travailler.

En fait, le système marchand et le marché du travail rémunéré ne nous ont jamais laissé d’autre choix que de participer au grand cirque des créations de valeurs prédatrices de ressources et destructrices du climat. Ce fut notre malédiction. Et cela pourrait rester celle des générations à venir si l’on ne faisait rien pour changer les règles du jeu.

Or, l’une des règles les plus importantes du jeu économique – augmenter les ressources de l’efficacité productive – est en passe de changer inexorablement. Si nous voulons éviter la catastrophe climatique, nous devrions réduire l’usage des ressources fossiles au maximum. Avec cette conséquence automatique : la productivité du système va connaître une lente et inexorable décrue.

La science économique ne s’appuie pas sur un grand nombre de lois, mais il en est une qui est incontestable : quand la productivité diminue, le travail augmente. C’est pour cela que le revenu universel ne nous fera pas moins travailler. Il nous faudra au contraire travailler plus, en sachant être innovants pour rendre le travail enfin agréable, et en nous appuyant sur les low-tech. La réduction nécessaire et inévitable de la productivité qui nous attend, avec la mise au placard des énergies fossiles, va nécessiter une mobilisation inédite et inattendue, en réalité, de nos forces vives, désireuses de manger et de vivre bien, et prêtes pour y parvenir à « mettre la main à la pâte ».

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