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Terrorisme : la justice a fait son travail (Evelyne Sire-Marin)

Terrorisme : la justice a fait son travail  (Evelyne Sire-Marin)

 

Ancienne juge d’instruction et juge des tutelles, Evelyne Sire-Marin a été présidente de chambre à la cour d’appel de Versailles et présidente du Syndicat de la magistrature elle défend la posture actuelle de la justice.

 

Au lendemain de l’attentat de Rambouillet, Xavier Bertrand propose une peine de cinquante ans de prison pour tout condamné pour terrorisme, assortie d’une période de sûreté – empêchant toute sortie anticipée – elle aussi portée à cinquante ans. Est-ce réalisable ?

Ce qu’on appelle terrorisme couvre des infractions extrêmement diverses, de l’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, sans acte matériel ni participation active, au crime terroriste lui-même qui débouche sur la réclusion à perpétuité. Un individu qui apporte un soutien sans être poseur de bombe encourt trente ans de réclusion. Le Code pénal prévoit une échelle des peines très lourde, avec une période de sûreté allant jusqu’à trente ans, voire une perpétuité incompressible. Créer une peine de cinquante ans pour tout « condamné pour terrorisme », c’est nier l’existence du juge. La fonction de juger consiste à apprécier les faits, puis à prononcer une peine adaptée à la gravité des faits et à la personnalité de l’auteur.

Après le procès de Viry-Châtillon, la droite a relancé le débat sur la systématisation des peines. Xavier Bertrand propose une peine de prison automatique d’un an pour tout agresseur d’un policier, d’un gendarme ou d’un maire…

Dans cette affaire des policiers brûlés au cocktail Molotov en 2016, la justice populaire, avec neuf jurés, a acquitté en appel huit personnes sur les 13 prévenus. Les cinq autres ont écopé de la réclusion criminelle, jusqu’à dix-huit ans. Si des prévenus ont été acquittés, c’est parce qu’il n’y avait pas de preuve pour les sanctionner. Le droit de la preuve et la présomption d’innocence sont des principes fondamentaux de la justice depuis la Révolution française. Si on les remet en cause, cela revient à dire qu’en fonction de la qualité de la victime (ici, des policiers), il faut enfermer d’office. C’est très dangereux. A cela, s’ajoute l’idée d’automaticité, qui s’oppose au principe constitutionnel de l’individualisation des peines qui permet d’adapter la sanction. La surenchère politique nourrit l’idée que la justice ne fait pas son boulot.

Justement, la justice est sous le feu des critiques dans l’affaire du meurtre antisémite de Sarah Halimi, dans laquelle l’auteur a été déclaré irresponsable pénalement…

On a le droit de critiquer une décision de justice et on comprend que ce crime antisémite suscite une immense émotion. Ce qui est inquiétant, c’est que la récupération politique tord les faits : on entend qu’un meurtrier peut fumer du cannabis pour s’exonérer de sa responsabilité. C’est faux. L’arrêt de la Cour de cassation dit que le trouble mental était là : la prise de drogue par Kobili Traoré n’a fait « qu’aggraver le processus psychotique déjà amorcé ». Trois collèges d’expert ont conclu à l’abolition du discernement. Il a été déclaré irresponsable parce que la loi ne prévoit pas d’exception si la « bouffée délirante » a pour origine la prise de substances. La chambre d’instruction a reconnu à la fois sa culpabilité et la dimension antisémite du crime. Il est enfermé dans une unité psychiatrique de nature pénitentiaire et ne va pas en sortir de sitôt, les hospitalisations de malades mentaux criminels étant souvent plus longues que la peine encourue aux assises. La prison n’est pas faite pour soigner ou garder des fous dangereux ; elle est faite pour que des personnes comprennent leur peine et s’amendent. Là encore, c’est un principe fondamental de la justice en démocratie.

Malgré tout, les pourfendeurs de cette décision estiment que l’auteur avait assez de discernement pour commettre un meurtre antisémite…

Oui, il a choisi sa victime, parce que la maladie mentale reflète la société. Le trouble psychotique se fixe sur une catégorie : une figure de l’autorité comme le chef de l’Etat, un groupe comme les juifs ou les femmes, un membre de la famille… J’ai eu à juger une affaire où une mère avait égorgé son fils de quatre ans, parce qu’elle pensait qu’il y avait un démon dans le corps de son petit garçon. Elle a été déclarée irresponsable pénalement et internée. Quand j’étais juge d’instruction à Créteil, un jeune homme souffrant de troubles bipolaires et fumant du cannabis a commis un crime monstrueux contre son père, parce qu’il s’était pris toute une nuit pour un gladiateur. On peut faire une nouvelle loi sur la responsabilité pénale, mais cela ne changera rien : il faudra toujours des experts psychiatriques qui évaluent si la personne souffre de troubles mentaux, si elle a pris des substances dans le but d’altérer son discernement et si cette drogue a bien été responsable d’une bouffée délirante au moment des faits.

La folie est-elle assez bien appréhendée par la justice ?

Sur 16 000 ordonnances renvoyant des personnes devant des tribunaux, seules 44 déclaraient l’irresponsabilité pénale en 2019. Les victimes peuvent faire appel devant la chambre de l’instruction pour qu’il y ait un procès, comme dans l’affaire Halimi. J’ai présidé des audiences dans lesquelles les prévenus avaient des troubles mentaux ; ils s’avèrent incapables de répondre aux questions, se montrent mutiques ou incohérents. La justice n’en tire rien et la victime en sort anéantie.

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