Des embryons homme-singe ?

Des  embryons homme-singe ?

Un article du Wall Street Journal fait le point sur les avancées scientifiques mais aussi sur les inquiétudes concernant les transplantations homme animal

Et si, un jour, des porcs étaient dotés d’un cœur humain ou des souris, d’un cerveau qui fonctionne comme le nôtre ? Les scientifiques élèvent aujourd’hui une arche de Noé peuplée de chimères, nom donné aux souris, cochons et autres vaches à qui, en laboratoire, on injecte des cellules humaines. Le but ? Trouver la créature qui, un jour, permettra de cultiver des organes pour les transplantations, étudier les maladies et tester les médicaments.

Début avril, des chercheurs américains et chinois ont annoncé avoir réussi à fabriquer des embryons associant cellules humaines et cellules de singe. Si ces chimères ne sont pour l’heure qu’un amas de cellules qui se développent dans une boîte de Pétri, les experts en éthique tirent déjà la sonnette d’alarme. Même si la valeur scientifique de ces travaux est potentiellement colossale, l’utilisation de primates si proches des êtres humains soulève la question des conséquences involontaires, du bien-être animal et du statut de ces embryons hybrides.

« Plusieurs avancées majeures ont été réalisées pendant cette expérience, souligne Nita Farahany, spécialiste de la bioéthique à l’université Duke. Une étape impressionnante a été franchie sur le plan scientifique ; elle soulève des questions fondamentales pour la société. Nous devons trouver la bonne démarche pour qu’à l’avenir, le progrès soit responsable. »

Les scientifiques créent des chimères depuis des années : ils utilisent des rats souffrant de tumeurs humaines pour étudier le cancer ou des souris dotées de notre système immunitaire pour travailler sur le sida. Mais ce qui distingue cette nouvelle expérience, c’est le fait que les scientifiques ont injecté des cellules souches humaines dans un embryon de primate très proche de l’être humain.

Pour ce faire, des chercheurs du Salk Institute for Biological Studies de La Jolla, en Californie, et de l’université des sciences et technologies de Kunming, en Chine, ont transplanté des cellules souches (obtenues en reprogrammant des cellules cutanées ou sanguines) dans 132 embryons de macaques. Six jours après la création des embryons dans le laboratoire principal d’Etat de recherche biomédicale sur les primates de la ville chinoise, les scientifiques leur ont transféré 25 cellules souches marquées par une protéine fluorescente.

« On les a placés dans une boîte de Pétri, en laboratoire, pour voir comment ils se comportaient », explique Juan Carlos Izpisua Belmonte, directeur du laboratoire d’expression génique du Salk Institute, qui dirige les travaux. Le lendemain, les embryons étaient fluorescents. Ils avaient donc tous intégré les cellules humaines, ce qui ne s’était jamais produit lors des expériences réalisées sur des embryons d’autres espèces, notamment de porcs, ont expliqué les scientifiques le 15 avril dans la revue scientifique Cell.

Pour le moment, l’espérance de vie des chimères ne dépasse pas 19 jours. « Nous n’avons jamais eu l’intention de créer une chimère vivante, et nous ne le ferons jamais », affirme le docteur Izpisua Belmonte.

« Tant que c’est un embryon dans un tube, nous ne sommes pas inquiets, affirme le docteur Greely à propos des chimères homme-singe. Mais à partir du moment où l’on essaie de faire porter l’embryon et d’aller au terme de la grossesse, les enjeux sont beaucoup plus importants »

Quoi qu’il en soit, l’expérience soulève bien des questions. Il est actuellement impossible de savoir où vont les cellules souches humaines injectées à un stade de développement si précoce de l’embryon ou de les empêcher de devenir certaines cellules adultes, préviennent certains scientifiques.

« Cela montre que les cellules souches humaines ont tendance à migrer très loin dans l’embryon de singe, souligne Insoo Hyun, spécialiste de la bioéthique à l’université Case Western Reserve de Cleveland, qui fait partie de l’équipe internationale qui supervise l’étude. C’est ce qui engendre une inquiétude théorique : il existe un risque que, sans que l’on ne puisse rien y faire, il y ait un mélange et que des cellules humaines se développent dans le cerveau, le cœur ou la totalité du corps. » En d’autres termes, les chercheurs ne savent pas (pour le moment) ordonner aux cellules souches de créer certains organes ou de ne pas modifier aléatoirement le cerveau de l’animal.

En 2014, des chercheurs de l’université Rochester ont transplanté des cellules fœtales baptisées astrocytes dans des souris de laboratoire. Un an plus tard, ils ont découvert que les cellules humaines avaient colonisé le cerveau des souris. En outre, selon des tests de mémoire et de cognition standardisés, ces souris modifiées étaient plus intelligentes que les autres.

Les chimères créées à partir de cellules souches ont donc « le potentiel d’humaniser très fortement la biologie des animaux de laboratoire », prévient le docteur Hyun.

Pour Henry Greely, spécialiste de la bioéthique de Stanford, ce domaine scientifique déchaîne depuis longtemps les passions politiques. En 2006, lors de son discours sur l’état de l’union, George W. Bush avait qualifié la création d’hybrides humains-animaux de « détournement flagrant de la recherche médicale ». D’ailleurs, sept pays l’interdisent ou la limitent. Depuis 2015, les instituts nationaux de la santé (NIH) américains refusent de financer les expériences lors desquelles des cellules souches humaines sont injectées dans des embryons animaux.

Mais cette règle pourrait être assouplie : la porte-parole des NIH a déclaré que l’organisation attendait la publication, le mois prochain, des nouvelles recommandations de la Société internationale pour la recherche sur les cellules souches (ISSCR) pour « vérifier que sa position reflète bien la réflexion de la communauté, qui a étudié la question de très près ». Début avril, les NIH ont levé les restrictions qui pesaient sur la recherche sur les tissus fœtaux.

« Je pense que les NIH veulent aller de l’avant », affirme le docteur Hyun, qui dirige le comité qui a actualisé les recommandations de l’ISSCR sur les expériences incluant des chimères homme-primate.

Pour le docteur Izpisua Belmonte, la supervision est une bonne chose. A sa demande, l’expérience sur les embryons de singe a été examinée par des comités institutionnels américains et chinois, mais aussi par trois experts indépendants de la bioéthique. « Ce n’est pas parce qu’on peut faire quelque chose qu’il faut le faire, souligne-t-il. Les expériences scientifiques comme celles-ci soulèvent beaucoup de questions. »

En Europe et aux Etats-Unis, il est de plus en plus difficile de faire de la recherche sur des primates ; l’équipe du Salk Institute a donc collaboré avec des scientifiques chinois, qui maîtrisent de mieux en mieux la conservation des embryons de singe. En 2011, la Chine a fait de la mise au point de modèle primate de maladies un objectif national. Le but : créer des singes génétiquement modifiés sur lesquels tester des traitements contre certaines maladies cérébrales ou des troubles de type autisme.

Si un certain nombre d’obstacles techniques demeurent, les scientifiques chinois utilisent d’ores et déjà des outils d’ingénierie embryonnaire, notamment le clonage, pour produire plus rapidement de primates dont le patrimoine génétique a été modifié par la science.

« Tant que c’est un embryon dans un tube, nous ne sommes pas inquiets, affirme le docteur Greely à propos des chimères homme-singe. Mais à partir du moment où l’on essaie de faire porter l’embryon et d’aller au terme de la grossesse, les enjeux sont beaucoup plus importants. »

(Traduit à partir de la version originale en anglais par Marion Issard)

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