Société- La tyrannie de la méritocratie

Société- La tyrannie de la méritocratie 

Le philosophe américain Michael Sandel explique dans son dernier  livre que l’orgueil d’une élite estimant devoir ses privilèges à son travail déstabilise nos démocraties.

 

Livre. Emmanuel Macron vient d’annoncer sa volonté de supprimer l’ENA, devenue pour beaucoup un symbole de l’entre-soi élitiste. Le chef de l’Etat estime cette décision nécessaire « parce que nous avons renoncé à gérer, bâtir des carrières de manière transparente et méritocratique ». Ce dernier mot prend une valeur particulière, tant il incarne un idéal auquel il est dur de renoncer, la promotion sur la base du mérite, la possibilité donnée à chacun d’améliorer sa condition sur la base du travail.

 

Pour le philosophe américain Michael Sandel, la méritocratie est aujourd’hui, aux Etats-Unis comme ailleurs, une tyrannie qui a installé une nouvelle noblesse de robe. Sandel poursuit ainsi la brillante critique du libéralisme politique qui est au cœur de son projet philosophique. Selon lui, l’orgueil d’une élite qui estime devoir ses privilèges à son travail déstabilise nos démocraties. Si l’on suit son raisonnement, il y a fort à craindre que de passer de l’ENA à un Institut du service public (ISP), comme le propose Emmanuel Macron, n’y changera sans doute rien, si les prémices restent les mêmes.

Mépris de classe

La réflexion du philosophe prend comme point de départ la question à laquelle chaque intellectuel américain est sommé de répondre : qu’est-ce qui explique le phénomène Trump ? Repoussant les explications traditionnelles, l’insécurité économique ou culturelle, Sandel estime que « la plainte populiste » est l’expression d’une colère contre une caste qui dénigre les milieux populaires. Ce mépris de classe est inspiré d’une culture de l’effort, selon laquelle les gagnants de la mondialisation, généralement détenteurs de prestigieux diplômes, ont réussi, car ils ont trimé dur dès le plus jeune âge. De façon plus ou moins implicite, l’orgueil de cette classe dominante dévalorise les moins fortunés, en laissant entendre qu’ils n’ont pas fait les efforts nécessaires à l’école et au-delà.

Ce système n’humilie pas seulement les classes populaires, mais plonge aussi les jeunes aspirants aux premiers rôles dans une réelle détresse psychologique

De l’éthique protestante du travail à la récente survalorisation des diplômes, Michael Sandel montre également que la méritocratie n’humilie pas seulement les classes populaires, mais plonge aussi les jeunes aspirants aux premiers rôles dans une réelle détresse psychologique. Entourés d’une riche coterie de coachs, de professeurs, de répétiteurs, les adolescents des familles aisées vivent dans la crainte de ne pas être reçus dans l’une des plus prestigieuses universités. La peur du déclassement les fragilise, si bien que la méritocratie continue de tourner grâce au soutien d’un cocktail d’antidépresseurs.

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