Une plus grande transparences pour savoir qui sont les actionnaires des entreprises
Un papier du Wall Street Journal traite de la question de transparence pour savoir qui sont les actionnaires d’une entreprise
Fin mars, quand les actions ViacomCBS et Discovery ont dévissé et qu’Archegos Capital Management, family office de Bill Hwang, s’est effondré, bon nombre d’investisseurs et de banques ont été pris de court. Mais il s’avère que d’autres entreprises se demandent aussi pourquoi leurs titres ont soudainement été pris de spasmes.
Les dirigeants de LendingClub et de fuboTV ne savent toujours pas si les variations brutales des titres de leurs entreprises proviennent d’un désinvestissement massif lié à Archegos ou d’un événement sans aucun lien avec le sort du fonds d’investissement, ont rapporté des sources proches du dossier.
S’ils se posent la question, c’est parce que le fonds leur avait dit qu’il était un actionnaire important de la société de prêts en ligne et du service de streaming, ont précisé les sources. Mais, en l’absence de déclarations de franchissement de seuil (que remplissent généralement les fonds quand ils prennent une participation significative), impossible de savoir si ce sentiment est justifié.
S’il peut sembler étrange qu’une société ne soit pas capable de savoir pourquoi son action baisse brutalement, l’effondrement d’Archegos montre qu’il est parfois difficile, pour les entreprises, de savoir qui compose leur capital et pour quelle raison ces actionnaires sont là.
Entreprises et groupes de défense sont nombreux à demander aux régulateurs de revoir les règles d’information financière, notamment celles qui s’appliquent aux family offices comme Archegos et à l’utilisation de produits dérivés, qui permettent aux investisseurs de parier sur les cours des actions plutôt que sur les actions elles-mêmes.
« Les Etats-Unis, qui excellaient dans la rapidité de l’information, sont désormais à la traîne au niveau mondial », déplore Leo Strine Jr., ancien président de la Cour suprême du Delaware désormais avocat chez Wachtell, Lipton, Rosen & Katz.
« Pire encore, ils n’arrivent pas à gérer la question des dérivés et des autres instruments qui portent préjudice aux entreprises ciblées, poursuit-il. Notre réglementation date du milieu des années 1970, il est plus que temps qu’elle soit adaptée à l’économie du XXIe siècle. »
« Il n’y a pas de raison que de grands investisseurs, dont les décisions peuvent avoir un impact significatif sur le reste des actionnaires et les entreprises, ne soient pas soumis à la même surveillance que les autres simplement parce qu’ils ont choisi une structure juridique différente »
De fait, les family offices sont très peu réglementés. Adoptée après la crise financière, la loi Dodd-Frank cherche à renforcer la solidité des marchés financiers, mais comporte une exception pour les family offices, dispensés de certaines obligations de transparence applicables aux autres sociétés d’investissement gérant plus de 100 millions de dollars.
Le droit boursier obligeait Archegos à communiquer des éléments sur les actions en sa possession, mais la société semble avoir réussi à le contourner en achetant des total return swaps, des dérivés qui permettent aux banques de réaliser un investissement pour le compte d’un client en échange d’une commission. Grâce à ces dispositifs, personne ne savait si Bill Hwang avait des parts dans telle ou telle entreprise : il est donc impossible de savoir à quelle hauteur il en était actionnaire. Archegos n’a pas souhaité commenter.
Dans un courrier à la SEC, le gendarme de la bourse américaine, l’Americans for Financial Reform demande un durcissement des règles applicables aux sociétés de type Archegos ; le lobby y souligne qu’il existe plus de 10 000 family offices qui gèrent au total près de 6 000 milliards d’actifs.
« Il n’y a pas de raison que de grands investisseurs, dont les décisions peuvent avoir un impact significatif sur le reste des actionnaires et les entreprises, ne soient pas soumis à la même surveillance que les autres simplement parce qu’ils ont choisi une structure juridique différente », déplore le groupe.
L’évolution des actions résulte de très nombreux facteurs liés au marché et à leurs secteurs respectifs ; durcir les règles relatives à l’information financière ne rendrait pas ces éléments plus faciles à comprendre.
D’après des informations publiques, plusieurs banques avec lesquelles Bill Hwang a travaillé (dont Credit Suisse, Nomura, Morgan Stanley et Goldman Sachs) étaient actionnaires majoritaires d’un certain nombre d’entreprises. Mais impossible de savoir si ces établissements ont réalisé cet investissement pour un seul client, plusieurs clients ou pour eux-mêmes.
Archegos possédait une participation importante dans ViacomCBS et quand l’action s’est mise à baisser, les banques ont dû liquider sa position. Ce sont, en réalité, plus de 30 milliards de dollars de positions qu’Archegos avait prises sur ViacomCBS, Discovery et d’autres entreprises qui ont été fermées, provoquant un effondrement des cours et menant le family office à la chute.
L’action LendingClub, elle, a chuté de 11 % le 26 mars, essuyant sa plus forte baisse en une seule séance depuis mai de l’an passé ; le même jour, le titre fuboTV dévissait de 15 %.
D’après une source proche du dossier, Archegos voulait investir l’été dernier dans fuboTV, spécialiste du streaming sportif. Juste avant la conclusion de l’accord, fuboTV a appris qu’Archegos comptait passer par un swap avec Credit Suisse, précise la source. Le 2 juillet, fuboTV a déclaré que Credit Suisse avait acheté pour 20 millions de dollars d’actions, qui étaient en réalité destinées à Archegos, toujours selon cette personne.
A ce moment-là, l’implication de Credit Suisse inspirait plus de confiance que de défiance, puisque tout le monde se disait que la banque avait enquêté sur Archegos, souligne-t-elle.
Pour LendingClub, Bill Hwang a lui-même déclaré à ses associés qu’il avait investi au fil des années, ont indiqué des sources de la société de prêts.
Les dirigeants de LendingClub et fuboTV se sont demandé pourquoi les actions s’étaient effondrées jusqu’à ce qu’ils apprennent qu’Archegos était à l’agonie, ont expliqué des sources.
Si Archegos était toujours actionnaire au moment de sa chute, c’est peut-être la liquidation de ses positions qui a fait trébucher LendingClub et fuboTV. Mais aucune des deux entreprises ne possède de déclaration indiquant si Archegos était toujours au capital, ni à quelle hauteur.
Des salariés de fuboTV qui cherchaient à comprendre ont vu passer un message publié sur un compte Twitter anonyme après la chute du titre le 26 mars, a raconté une source proche du dossier.
Le tweet recensait les positions qu’Archegos détenait par le biais de Nomura, dont les 4,7 millions d’actions fuboTV. Les salariés ont comparé ces informations avec des données FactSet et se sont aperçus que le premier actionnaire de fuboTV était Nomura, avec 4,7 millions d’actions fin 2020.
L’une des autres entreprises sur la liste, Viper Energy Partners (née de la scission du producteur de pétrole Diamondback Energy) a expliqué qu’il n’était pas courant que les filiales de prime brokerage des banques prennent des participations dans les entreprises et qu’au regard de l’actualité récente, cela pourrait indiquer qu’Archegos a été impliqué.
La filiale de prime brokerage de Nomura fait partie des principaux actionnaires de Viper Energy, avec près de 5 % du capital. Il est rare qu’un prime broker possède une participation aussi importante, souligne Kaes Van’t Hof, président de Viper Energy. Son entreprise n’a pas cherché à savoir si Archegos était derrière tout ça, précise-t-il, ajoutant qu’il est de toute façon « difficile de faire dire aux prime brokers qui détient vraiment les actions ». Nomura n’a pas souhaité commenter.
L’action Viper Energy a reculé au moment où Archegos a rencontré des difficultés, perdant près de 10 % entre fin mars et le 9 avril.
« La quantité d’informations que les entreprises cotées et les fonds d’investissement doivent fournir est un peu déséquilibrée », affirme Kaes Van’t Hof.
Depuis fin mars, les titres LendingClub et fuboTV ont continué de perdre du terrain, fuboTV cédant ainsi 30 % depuis début janvier. L’action Viper Energy a en revanche rebondi, et s’adjuge près de 20 % en avril.
Bill Hwang a peut-être aussi investi dans iHuman, créateur chinois d’applications éducatives.
Le titre était à la peine depuis son introduction en Bourse en octobre mais, le 29 mars, jour de la chute d’Archegos, iHuman a dévissé de 13 %, la deuxième plus forte de sa courte histoire boursière.
« Je pense que nous sommes d’accord avec beaucoup d’autres entreprises sur le marché sur le fait qu’il faudrait une plus grande transparence vis-à-vis des positions des fonds »
A l’instar des positions de Bill Hwang qui sont désormais connues, les banques (dont Credit Suisse et Nomura) font partie des principaux actionnaires de iHuman, selon FactSet. Le seul indice d’une implication du family office est une demande de réunion envoyée à iHuman par un analyste junior d’Archegos, selon une source.
Le porte-parole de iHuman a déclaré que l’entreprise était favorable à une révision des règles de déclaration applicables aux sociétés d’investissement.
« Je pense que nous sommes d’accord avec beaucoup d’autres entreprises sur le marché sur le fait qu’il faudrait une plus grande transparence vis-à-vis des positions des fonds, a-t-il écrit dans un e-mail. Nous espérons que la SEC étudiera le dossier et contribuera à une plus grande transparence du marché. »
Mercredi, John Coates, responsable de la SEC en charge de l’information financière des entreprises, a indiqué devant l’American Bar Association qu’à titre personnel, il était favorable à un durcissement des obligations de communication des positions dérivées, qui ne doivent actuellement pas être déclarées.
Au sujet d’Archegos, il a indiqué que la transmission d’informations était « la façon la plus simple de répondre au principal problème ».
Il a précisé qu’il ne savait pas si la SEC souhaitait modifier ses règles. C’est son nouveau président, Gary Gensler, qui tranchera.
Dave Michaels a contribué à cet article
(Traduit à partir de la version originale en anglais par Marion Issard)
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