« Un État nounou peu efficace » (Mathieu Laine)
ce qu’estime Mathieu laine, entrepreneur et essayiste dans un nouveau livre.. Interview dans la Tribune
Dans votre nouveau livre, vous critiquez sévèrement le rôle de l’Etat français dans la gestion de la crise sanitaire, un Etat-nounou que vous aviez dénoncé il y a une quinzaine d’années dans un précédent ouvrage. Mais n’est-ce pas le rôle de l’Etat de protéger les citoyens ?
MATHIEU LAINE. Il est tout à fait légitime que l’État intervienne face à une pandémie. Freiner la propagation d’un virus et protéger les citoyens, c’est bien son rôle. Friedrich Hayek défendait d’ailleurs une telle approche. Mais, en tant que libéral, c’est la manière dont l’Etat français a réagi qui m’a intéressé. Cette pandémie a été un révélateur, au sens chimique, voire un accélérateur de tendances. Elle a fait apparaître la faiblesse de l’Etat français qui mixe le centralisme et le morcellement, en particulier à travers l’inefficacité incarnée par l’administration de la santé publique, constituée d’une myriade d’organismes qui ne font que produire et appliquer de la norme. Le retard pris dans notre campagne vaccinale est en grande partie à imputer à cette énorme machine.
La gestion de cette crise a aussi montré les excès tatillons de la bureaucratie qui a souvent pris une tournure ubuesque. Les exemples sont nombreux : l’imposition d’attestations, dont la dernière faisait deux pages dans une langue bureaucratique incompréhensible, sous peine d’amende ; le bâchage des rayons des livres ou des jouets dans les supermarchés ; le casse-tête des fonctionnaires pour savoir si un pyjama pour enfant de 2 ans était un bien essentiel. Ce ne sont pas des détails, c’est la vie quotidienne des Français.
Cela conduit nombre d’entre eux à comprendre qu’un homme seul, juste parce qu’il a été élu président de la République, doit nous protéger de tous les risques relève d’un dangereux mirage. C’est une pathologie bien française que de déployer, dans une circonstance pareille, des normes d’une complexité folle. Notre addiction à l’interventionnisme extrême nous perdra. Il est devenu urgent de découvrir en quoi la liberté pourrait contribuer au retour de l’ordre et de l’efficacité.
Le régime présidentiel caractéristique de la France est-il donc en cause?
Il est vrai que cette promesse néo-monarchiste de nous prémunir des risques, renforcée en 2005 par le président Chirac quand il inscrit le principe de précaution dans la constitution, a créé une nouvelle idéologie : le précautionnisme. Aujourd’hui, au moindre problème, tout le monde se tourne vers le président. C’est désormais un argument de campagne présidentielle. Chaque candidat fait de la surenchère. La question n’est donc pas tant la personne que la lourde machinerie administrative qu’il dirige et qui ne répond plus. Tout cela ne se règle pas à coup de dégagisme mais en s’attaquant enfin à cette faille structurelle.
Ils ne sont pas nécessairement cyniques lorsqu’ils le disent…
Ils sont même assez sincères, j’en suis certain. Mais en transformant l’action politique en nurse géante formulant des promesses toujours plus intenables, les citoyens désapprennent la responsabilité individuelle et les citoyens sont inévitablement déçus. L’État a été créé pour nous protéger contre les agressions extérieures, les individus lui transférant le monopole de la violence légale. Mais en France, l’État régalien – Intérieur, Défense et Éducation – est devenu en quelques décennies un État Providence qui s’est transformé en « État Précaution ». Un Etat nounou, qui nous materne et nous paterne ! Cette tendance lourde nous pousse dangereusement sur un chemin de servitude. La réaction à la pandémie confirme ce que je pointais déjà il y a 15 ans.
Dans ce cas, pourquoi publier ce livre?
J’y vois une opportunité de faire la pédagogie des idées libérales qui défendent l’ordre spontané, les libertés individuelles. Le meilleur moyen de protéger les gens consiste à les rendre plus forts en les armant intellectuellement et pratiquement, via l’école, l’université, la formation tout au long de la vie. Je soutiens également le retour à une subsidiarité vraie. Il faut partir de la base et non du sommet. Dès qu’un problème apparaît, le premier réflexe est de se tourner vers l’État, et non vers soi-même, son entourage, sa famille, ses amis, les associations, ou encore l’entreprise. On ne devrait passer à l’échelon supérieur, la commune, que si l’on ne trouve pas de solution. Comment se fait-il que des grandes villes à travers le monde puissent fournir à manger à des millions de personnes à l’heure du déjeuner sans qu’un grand cerveau l’organise ? L’ordre spontané illustré par ce simple exemple est devenu tellement contre-intuitif qu’on ne s’en rend même plus compte. Aujourd’hui, lorsqu’on distribue du pouvoir aux citoyens, cela semble une offrande de l’être suprême. Mais ce sont les citoyens les moteurs de la démocratie, non quelques élus. C’est pour cela que j’appelle de mes vœux, après cette crise sanitaire, à la constitution d’un mouvement de personnes souhaitant peser sur la présidentielle de 2022 et interpellant les candidats sur leurs solutions pour faire revenir, comme on le dit d’un fleuve, l’État dans son lit.
Un tel mouvement n’est-il pas limité par le complexe du citoyen face à l’Etat, une servitude volontaire en quelque sorte? Ne faudrait-il pas une réelle décentralisation qui se heurte en France au surmoi jacobin?
Ce dont nous avons besoin, c’est une révolution profonde, presque civilisationnelle. Il faut redéfinir le rôle du citoyen dont découlera ensuite celui de l’Etat. C’est ça, la démocratie. Or on fait le contraire aujourd’hui. La décentralisation participe de cette logique mais la mettre en œuvre nécessite d’être extrêmement vigilant. Depuis des décennies, plusieurs projets de décentralisation ont été lancés sans grands résultats. Cela rend le mot impopulaire. Car, à chaque fois, on a gardé l’État central tout en multipliant les instances avec la bureaucratie qui allait avec. C’est le fameux « millefeuille » qui se caractérise par une déresponsabilisation favorisée par les occasions de dépenses sans donner les opportunités de recettes. Il faudrait que l’Etat se recentre sur quelques actions pour laisser aux instances locales, régions ou départements, une plus large autonomie pour à la fois dépenser et prélever de l’argent.
Pourquoi?
Parce que dès qu’elles seront mises en concurrence, certaines opteront pour une politique fiscale plus attrayante, offrant au citoyen de déménager dans la région qui lui sera plus favorable. Avec l’Etat central, on a perdu cette notion de concurrence. Or aujourd’hui, on a le pire des deux systèmes : très centralisé, très morcelé et multi-couches !
Comment résoudre cette contradiction ?
Il faut un discours positif. Il s’agit de trouver, comme le suggère l’économiste Daron Acemoglu, que je cite dans mon livre, le « corridor étroit » entre le « Léviathan despotique » et le « Léviathan absent ». Pour ce chercheur du MIT, il faut définir ce que doivent faire les instances publiques pour être au service de l’émancipation des citoyens. C’est le premier principe. L’évolution de l’histoire, par exemple la Révolution française, a permis que nous sortions, vous et moi, du régime de servage, que nous puissions avoir voix au chapitre. Or il faut prendre la mesure d’une telle émancipation. Vous avez évoqué une servitude volontaire. C’est vrai que non seulement la population a peu réagi mais une partie d’entre elle a demandé plus de fermeture et de restriction des libertés. Cela participe aussi de l’épidémie de la peur, qui, comme le disait Jean Giono dans « Le hussard sur le toit », relève des circonstances d’une telle période. Le problème est que même hors de cette période nombre de personnes veulent qu’on les protège en réglementant notre façon de boire, de fumer, de nous déplacer ou même de caricaturer… C’est une mécanique qui s’auto-alimente, résultat d’une perte de confiance depuis des décennies dans la responsabilité et la liberté personnelles. Par cette normalisation forcée, les personnes, traitées comme des enfants, finissent par ne plus avoir confiance en elles-mêmes et demandent toujours plus de protection. En réalité, désapprendre la liberté est un phénomène psychique qui relève de l’emprise. A force d’avoir des politiques qui nous disent tout le temps qu’il faut tout faire à notre place et contrôler tout ce que nous faisons, nous finissons par nous trouver très bien dans notre servitude.
N’y-a-t-il pas aussi une spécificité de la société française, qui a été documentée, à savoir une « société de défiance », qui aurait pour conséquence de réduire la puissance de la société civile et de donner mécaniquement un rôle central à l’État ?
C’est exact, à force d’avoir un Etat qui promet de tout faire « quoi qu’il en coûte », une partie non négligeable de la population considère que ça lui convient, et en demande encore plus parce qu’il y a un certain confort à vivre en transférant à d’autres la gestion de bon nombre de risques quotidiens. C’est pourtant là une mécanique perverse qui précipite notre déclassement. Tout le défi des amoureux de la liberté consiste à expliquer que la meilleure des protections est en vérité d’être soi-même plus responsable, plus libre, de participer à un mécanisme d’innovation et d’entraide renforcé. Mais cette pédagogie est difficile à faire, notamment sur un plateau télé, car cela nécessite quelques explications et va contre l’opinion courante.
C’est un phénomène récent…
Oui, dans les années 1990, je ne me préoccupais pas de défendre la liberté politique tant c’était évident, alors qu’aujourd’hui elle recule, même en Europe. Regardez ce qui se passe en Pologne ou en Hongrie. La liberté n’est pas un vain combat. Des gens sont morts pour elle. Depuis des décennies, aucun leader politique n’a réussi à convaincre suffisamment de monde sur un projet restaurant le primat de la liberté. Après l’importante intervention de l’État durant la crise, il sera difficile de le faire reculer, d’une part, parce que le pouvoir ne rend jamais facilement ce qu’il a pris, et d’autre part, bon nombre de citoyens sont pris de vertige face à une liberté retrouvée. Quand un prisonnier est libéré au bout d’un certain temps, il est lui aussi gagné par la peur. Il est donc nécessaire de faire la pédagogie des vertus inhérentes à une société qui valorise la liberté, pour être plus heureux, pour donner un meilleur avenir à ses enfants, pour sortir de la pauvreté. Or personne ne le fait. Même les initiatives locales qui se sont multipliées durant la crise prouvant que l’on peut agir malgré le cadre bureaucratique n’ont pas été valorisées !
Cette crise sanitaire a visiblement remis en cause la mondialisation et, au moins dans un premier temps, mis à mal la cohérence de l’UE? Assiste-t-on à un repli sur le cadre national?
Défendre aujourd’hui l’idée de mondialisation comme solution fait fuir tout le monde. Mais prenons un seul exemple : si nous avions privilégié le repli sur la nation française en étant coupés du monde, nous n’aurions pas vacciné aujourd’hui un seul Français. La mondialisation de la science est le meilleur avocat de la globalisation. Le premier vaccin a été le fruit du travail de recherche de migrants turcs venus en Allemagne, financé avec des fonds provenant du monde entier, notamment d’Europe, et développé avec un laboratoire américain. Dans notre quotidien, souvent sans y prendre garde, nous bénéficions tous de l’échange d’idées, d’innovations et des capacités de production à travers le monde.
Cette pandémie montre bien que la solution du repli sur soi prônée par le populisme est un mirage. Elle constitue une régression qu’il faut dénoncer tant c’est une solution autoritaire qui peut glisser vers le despotisme.
De ce point de vue, la stratégie vaccinale est un moment intéressant. Au nom de l’efficacité et du respect de la liberté individuelle, les pays membres de l’Union européenne avaient décidé de s’unir pour négocier au meilleur prix l’important volume de vaccins. Or, cette vision strictement comptable nous a fait prendre un retard considérable comparée à la stratégie du Royaume uni qui, pourtant, avait mal géré la crise à ses débuts. Mais en reconnaissant ses erreurs, en retrouvant du bon sens, Boris Johnson et Matt Hancock, le secrétaire d’Etat à la Santé, ont compris, au regard du coût en termes de vies humaines et du coût économique des confinements, qu’il fallait commander rapidement des vaccins, sans se soucier du prix, de la quantité et de la provenance. Pragmatiques et libres, les Britanniques ont pris une longueur d’avance face aux processus technocratiques et la recherche de consensus. Étant viscéralement européen, je suis triste de faire ce constat. Cela ne signifie pas qu’il faille quitter l’Europe, mais qu’il nous faut réconcilier l’Union avec la puissance, le pragmatisme et l’efficacité.
Cette crise ne fait-elle pas douter les libéraux?
Douter est naturel, cela fait même partie de la pensée libérale qui est l’inverse d’un dogme hors sol. Elle n’a pas d’idée préconçue de ce que devrait être l’individu. En revanche, elle affirme le primat de la liberté de la personne humaine, la plus petite des minorités, qu’il nous faut plus que jamais défendre. Son objectif n’est autre que l’émancipation des personnes en restituant du pouvoir à chacun. Ce n’est pas juste une croyance. L’histoire témoigne de l’existence d’un ordre vertueux né de l’interaction libre et responsable entre les personnes, bien plus efficace que la pensée magique qui voudrait que quelques-uns, au prétexte qu’ils ont été élus, savent mieux que nous ce qui est bon pour nous.
La lutte contre le réchauffement climatique est un thème absent du livre. Pourtant il devrait s’imposer comme cause mondiale à la sortie de la crise sanitaire?
Je dis dans mon livre qu’on ne luttera pas contre le réchauffement climatique sans les entreprises ou contre elles. Interdire les publicités pour des voyages au motif qu’ils ont un bilan carbone trop élevé, c’est de la censure et de l’infantilisation. L’État devrait plutôt favoriser un débat sur un monde décarboné, à condition de ne pas le faire contre les hommes ou contre les entreprises. Cessons de considérer que quelques-uns savent mieux que tous les autres et peuvent nous imposer des interdictions, des taxes ou des obligations. Après la pandémie, retrouvons la liberté.
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(*) Mathieu Laine « Infantilisation. Cet Etat nounou qui vous veut du bien », éditions Les Presses de la Cité, 174 pages, 18 euros.
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