Innovation: pourquoi le déclassement de la France ?
Dans un article de l’Opinion, le journaliste Raphaël Legendre explique le dramatique déclassement de la France en matière d’innovation
Aucune entreprise française ne figure dans le classement des entreprises les plus innovantes dans le monde publié jeudi par le BCG, très largement dominé par les grands groupes américains. En cause, un manque criant de financements publics et privés, mais pas seulement. Le principe de précaution est en train de plomber le pays.
La dernière étude du Boston consulting group (BCG) sur les entreprises les plus innovantes au monde sonne comme une humiliation pour la France et l’Europe. Aux cinq premières places, cinq sociétés américaines : Apple, Alphabet (Google), Amazon, Microsoft et Tesla. Sur les cinq places suivantes, encore deux américains (IBM et Pfizer qui fait son entrée à la 10e place), un chinois (Huawei), un coréen (Samsung) et un japonais (Sony).
Le premier groupe européen, Siemens, n’arrive qu’à la 11e position. Sur les cinquante entreprises les plus innovantes, pas une française et trop peu d’européennes (12, en majorité allemandes). Alors que 2021 a marqué l’arrivée en masse des groupes pharmaceutiques (10 sociétés contre quatre en 2020 et une en 2010), pas de trace de Sanofi ou de l’Institut Pasteur qui ont échoué dans la course aux vaccins anti-Covid.
Cette absence a plusieurs causes. Si le niveau de recherche reste correct – la France est le 5e pays au monde en matière de reprise à l’international de publications nationales – les financements sont trop faibles. A 2,2 points de PIB dans la recherche et développement, l’Hexagone se classe au 13e rang mondial et au 7e de l’Union européenne (2,5 % en moyenne au sein de l’OCDE).
Ecosystème. Ce n’est pas mieux dans le privé où les dépenses de R&D des entreprises ne dépassent pas 1,4 % du PIB, nettement sous la moyenne de l’OCDE (1,7 %), derrière les Etats-Unis (2 %), l’Allemagne (2,1 %) et la Corée du Sud (3,6 %). En 2016, seulement 20 % des entreprises françaises avaient déclaré avoir développé des innovations de produits et 24 % des innovations de procédés, rappelle Mathieu Noguès en préambule du dernier cahier du Cercle des économistes, consacré à la place de la France dans la course technologique.
Que faire pour rattraper ce retard ? « Le problème, c’est que l’écosystème n’a rien à voir des deux côtés de l’Atlantique, rappelle l’économiste Philippe Aghion, titulaire de la chaire institutions, innovation et croissance au Collège de France. Les Etats-Unis disposent de nombreux centres de financement de la recherche publics (Barda, NHI…) et privés, qu’ils viennent du mécénat ou des fonds de capital-investissement. » La France, elle, ne se positionne qu’au 16e rang mondial pour les investissements en capital-risque rapportés au PIB, et au 5e rang de l’UE. Résultat : « L’Europe compte 29 licornes dont 7 en France, largement derrière la Chine (227) et les Etats-Unis (233) », rappelle Mathieu Noguès. Pourtant proche d’Emmanuel Macron, Aghion regrette que « l’innovation n’ait pas été une priorité du quinquennat. On a fait passer la réforme des retraites avant ».
« Il faut séparer le problème de la recherche, qui est une chose, de celui de son développement industriel, qui en est un autre », ajoute Laurent Lévy, président fondateur de la biotech Nanobiotix, qui a levé 100 millions de dollars au Nasdaq fin 2020. « C’est ce dernier point que met en lumière le classement du BCG. Les géants américains de la tech ne sont pas forcément les plus innovants, mais ce sont ceux qui en créent le plus de richesses », explique-t-il. De fait, on recense trois fois plus de découvertes scientifiques en Europe, par million d’habitants, qu’aux Etats-Unis. Mais moins de financement, donc de brevets et d’innovations.
Au-delà du problème des fonds, Laurent Lévy souligne surtout la différence fondamentale de culture entre les Etats-Unis et la France. « Je ne me rendais pas compte durant mes études que je vivais dans un monde de contraintes. C’est en partant aux Etats-Unis pour mon post-doctorat que je l’ai compris. Le principe de précaution a été dramatique en France », affirme l’entrepreneur.
Exemple concret, Nanobiotix a signé en janvier 2019 un accord de codéveloppement avec le premier centre anti-cancer aux Etats-Unis, le MD Anderson Cancer Center rattaché à l’université du Texas. Le centre hospitalier s’est engagé à cofinancer neuf essais cliniques, avec 340 patients, pour tester le produit de Nanobiotix. Ces essais cliniques auraient coûté 10 fois plus cher si Nanobiotix les avait financés entièrement. Un accélérateur de développement massif. *
« Ce type d’accord, par sa taille financière et sa souplesse, est quasi-impossible à mettre en place en France. Nous travaillons avec les meilleurs centres anti-cancer français (Institut Curie, Institut Gustave-Roussy), mais c’est aux Etats-Unis que la société a pu signer un tel partenariat », regrette Laurent Lévy.
Sans débouchés industriels, la science ne devient pas innovation. A l’heure du grand retour en grâce des politiques industrielles en France comme en Europe, il est temps de lever les obstacles sur cette voie
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