Agriculture : l’addiction à l’azote de synthèse
L’addiction des agriculteurs aux engrais azotés a un coût exorbitant pour le climat et la biodiversité, estime un collectif d’agronomes et d’agriculteurs. Ils appellent, dans une tribune au « Monde », à réduire fortement la consommation de fertilisants chimiques et à retrouver des sources d’approvisionnement biologiques.
Tribune.
Les engrais chimiques sont une potion magique issue de la guerre. L’invention du chimiste Fritz Haber (1868-1934), qui a reçu le prix Nobel pour ses travaux sur la synthèse de l’ammoniac, avait deux objectifs : nourrir davantage d’êtres humains et fabriquer des explosifs. Cette découverte a permis d’augmenter rapidement les rendements agricoles au sortir de la seconde guerre mondiale, tout en offrant de nouveaux débouchés aux industries créées en temps de guerre. Depuis 1960, notre consommation mondiale d’engrais azotés de synthèse a été multipliée par neuf – pourtant les plantes n’absorbent que la moitié de l’azote produit. Alors, où va le reste ?
Notre surconsommation d’engrais azotés de synthèse est un désastre écologique, social et économique. La fabrication de ces engrais, que nous importons à 60 %, est une bombe climatique : il faut l’équivalent en gaz d’un kilogramme de pétrole pour produire un kilogramme d’azote. Une fois arrivés dans nos champs, ils émettent massivement du protoxyde d’azote, un gaz 265 fois plus puissant que le CO2. L’azote qui n’est pas absorbé par les plantes pollue les cours d’eau et l’eau du robinet, et tue la biodiversité aquatique – le phénomène des algues vertes est désormais bien connu. De l’ammoniac s’évapore également dans l’air et contribue à produire des particules fines, qui génèrent des pics de pollution jusque dans les villes lors des épandages au printemps. L’adoption massive des engrais chimiques a provoqué une chute de la teneur en matière organique des sols et une augmentation des traitements pesticides car trop d’azote rend les plantes vulnérables aux pathogènes.
Pour certaines filières agricoles, il est économiquement difficile, aujourd’hui, de réduire les consommations d’engrais chimiques. Pourtant, l’achat de ces intrants peut représenter plus de 15 % des coûts de production d’une ferme française. Des coûts dont la volatilité génère de l’insécurité, puisqu’ils sont indexés sur le prix des énergies fossiles…
Les alternatives aux engrais azotés de synthèse existent mais elles supposent de nouvelles politiques publiques structurantes qui nous aident à réintégrer de l’azote organique dans les systèmes de culture. Les politiques menées jusqu’ici ont toutes échoué : la réglementation nitrates n’est pas respectée, tout comme la stratégie nationale bas carbone. La TVA réduite sur les engrais bio n’a pas infléchi la demande en engrais de synthèse et la portion des financements du plan de relance qui va dans la bonne direction est bien trop faible.
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