Management: pour davantage de visibilité et de responsabilité
Par Pascal de Lima et Fabien Cournée (*) estiment dans la Tribune que l’un des problèmes logiques qui découle d’une réorganisation de type holacratique provient du manque de lisibilité sur les nouveaux rôles définis pour les collaborateurs et néo-managers.
. (*) Par Pascal de Lima, chef économiste Harwell Management, et Fabien Cournée, Knowledge Manager Harwell Management.
Tribune
Parmi les éléments de blocage souvent évoqués, on trouve la gouvernance verticale, le droit à l’erreur inexistant, la multiplication d’indicateurs et de reportings poussés jusqu’à l’excès. Cette rigidité structurelle fait apparaitre de nombreuses limites, a fortiori dans un contexte social et économique incertain, nécessitant flexibilité et engagement de tous, enfin, avec la pression inéluctable des technologies émergentes.
L’holacratie, contrairement à d’autres méthodologies, a le mérite d’ouvrir le champ des possibles et d’apporter un certain nombre de réponses aux collaborateurs et managers en quête de sens.
La quête de sens dans les nouveaux paradigmes managériaux
Alors que les demandes des collaborateurs en termes d’épanouissement professionnel s’intensifient depuis la crise de la Covid, cette tendance de fond vise à remettre l’homme au centre de l’entreprise. C’est ainsi qu’après des décennies de rationalisation, de mise sous pilotage ou de renforcement des contrôles en tout genre, de nombreuses sociétés cherchent désormais à démocratiser puis horizontaliser les organisations pour plus d’interaction et de sens dans la collaboration.
L’holacratie peut répondre intelligemment à ces problématiques
Fort de ce constat, Brian Robertson (2) a théorisé cette innovation organisationnelle durant les années 2000 et l’a appelé en 2007 l’Holacratie. Composée du grec ancien holos, entier, totalité, entité qui est à la fois un tout et une partie d’un tout et kratos, pouvoir, autorité, cette approche s’inspire largement de la sociocratie. La responsabilité et les prises de décisions appartiennent aux salariés et à des équipes auto managées. Chacun est autonome et choisit ses missions tout en respectant l’alignement stratégique de l’entreprise. À la fois séduisante et fragile, cette méthodologie a déjà fait son chemin depuis une dizaine d’années : dans une organisation holacratique, la hiérarchie disparait et est remplacée par une régulation responsabilisante. Chaque collaborateur ou groupe de collaborateurs s’autorégule en entités autonomes, les cercles (3).
En encourageant la responsabilisation, la collaboration et la prise d’initiative, l’holacratie offre l’opportunité aux organisations de se mettre en mouvement et d’enfin (re)connecter aspirations personnelles et épanouissement professionnel. Nous voyons donc dans cette approche une possibilité d’horizontalité, orchestrée, un peu sous le format des tribus des méthodes agiles. Cela passe par la définition de rôles : le manager (appelé « leader de cercle » en holacratie) ; le facilitateur (qui facilite et anime les réunions) ; le secrétaire (qui les organise). Chaque rôle est endossé par une seule personne, avec le pouvoir de décision qui va avec. La répartition de ces rôles se fait en fonction des « capabilities » permettant ainsi aux collaborateurs de se centrer sur la « zone de talent », c’est-à-dire les sujets ou les fonctions sur lesquels ils se sentent le plus à l’aise ou légitime.
Mais à la différence de l’approche Agile, appliquée à un projet ou produit, l’holacratie s’applique à l’ensemble de l’organisation. C’est pour cela que son déploiement ne se décrète pas et demeure long à mettre en place. Pour les groupes bancaires et assurantiels, historiquement complexes et lents à transformer, deux axes de travail prioritaires semblent se détacher : l’identification d’un périmètre d’application restreint (départements, branches) et l’accompagnement managérial de terrain (4).
A condition d’en éviter les écueils
L’un des problèmes logiques qui découle d’une réorganisation de type holacratique provient du manque de lisibilité sur les nouveaux rôles définis pour les collaborateurs et néo-managers.
Les collaborateurs, du fait d’un cadre plus ouvert et moins contraint, peuvent se sentir plus exposés en termes de responsabilités, avec l’absence d’un manager de proximité qui permet habituellement de faire le lien avec le top management et qui peut également servir de fusible dans les situations les plus délicates. Chacun est désormais plus exposé et le revers de la pièce de l’horizontalité se situe dans le risque auquel s’expose les collaborateurs.
À l’inverse, coté managers, ceux-ci risquent de se sentir quelque peu dépossédés d’un statut reconnu en interne et déclassé dans leur positionnement au sein de l’entreprise. Le risque est réel de ne pas pouvoir compter sur leur adhésion en cas de transition trop rapide ou mal perçue.
L’écueil majeur qu’il convient donc de garder en tête est celui du leadership à acquérir pour les collaborateurs et à transmettre pour les managers. Cela ne se décrète pas. La transition, la montée en compétence, la définition du nouveau cadre organisationnel doivent se faire avec un sponsorship et un accompagnement fort, toujours avec empathie, et avec comme objectif de construire un horizon commun.
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(1) Etude Gallup réalisée en 2017 sur le travail dans le monde. 87% correspond aux travailleurs français.
(2) Le système holacratique fut développé entre 2001 et 2006 par Brian Robertson au sein de son entreprise de production de logiciels (Ternary Software) avant d’être formalisé sous ce nom en 2007. Il a été écrit pour la première fois dans une publication du Collège de Pataphysique en 1957.
(3) – Plus de collaboration et moins de tensions : l’holacratie règle les tensions en groupe et responsabilise les individus dans leurs interactions avec les autres.
- Une structure organisationnelle flexible : le travail n’est pas divisé en silos ou départements. Les individus se concentrent sur les missions à accomplir en autonomie. Les relations hiérarchiques sont remplacées par des individus ayant des rôles à responsabilités clairs ainsi que des règles d’interactions saines.
- Plus d’autonomie pour les équipes et les employés : l’holacratie prône l’action et la prise de décision autonome sans attendre l’approbation permanente d’un patron. Les individus fonctionnent comme de vrais intrapreneurs.
- Une forte capacité d’adaptation. La prise de décisions est rapide, efficace et permet une évolution itérative continue. La structure s’adapte rapidement à la croissance de l’organisation et à l’environnement économique.
(4) Le périmètre : la méthode la plus pragmatique consiste donc à tester et évaluer la pertinence de l’holacratie sur une entité volontaire pendant 6 à 12 mois, avant d’en tirer les bonnes conclusions. Libre au reste du Groupe d’emprunter tout ou partie des approches hiérarchiques et managériales découlant de cette expérimentation. C’est cette approche qu’a retenu Danone depuis plusieurs années, qui lui permet d’essaimer petit à petit dans le groupe. Le deuxième axe de travail, le volet managérial, doit également faire l’objet d’un réel investissement, afin que les managers deviennent des ambassadeurs de l’approche, et accompagnent les collaborateurs dans leur nouveau rôle sur la voie du self-management. Ce type de management révolutionnaire nécessite une acculturation forte sur la prise d’initiative, le travail collaboratif et toute la panoplie d’outils et méthodes qui les accompagnent. Il doit en résulter in fine un mariage entre le self-management et le management de proximité.
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