Politique sanitaire : faire un choix clair
Matthias Fekl avocat, ancien ministre estime que l’absence de choix clair participe à la croissance de la pandémie ( dans l’Opinion)
Un an après la mise en place du premier confinement, une forme de lassitude a gagné les citoyens, malgré la patience remarquable dont font globalement preuve nos sociétés. Si la pandémie a frappé le monde entier, elle a aussi évolué à des rythmes parfois divergents entre les pays, si bien que chacun d’entre eux a pu être pris, à certains stades, comme modèle, avant d’être ensuite décrié pour son inefficacité dans tel ou tel aspect de la gestion de crise.
Pour ce premier « anniversaire », France et Allemagne se retrouvent étrangement synchronisées sur un point précis et central de la gestion de crise : le choix à opérer entre une approche restrictive et autoritaire, d’une part, et une approche plus libérale, fondée sur un appel à la responsabilité individuelle et collective, d’autre part. Ces deux approches sont, en réalité, inconciliables. C’est ce qu’illustre, en France, l’incompréhension suscitée par la « troisième voie » souhaitée par le président de la République et, en Allemagne, la polémique autour du tour de vis initialement prévu pour le week-end pascal, suivi des spectaculaires excuses de la chancelière.
Les deux pays gèrent la pandémie avec des processus de prise de décision fort différents. En France, tout semble se décider en Conseil de défense voire, pour les décisions les plus stratégiques, dans le seul bureau présidentiel. Matignon met loyalement en œuvre les décisions, et la nomination comme Premier ministre d’un haut fonctionnaire consensuel, auparavant chargé de la coordination administrative et logistique du déconfinement, prend valeur de symbole. La fonction a changé et le changement est assumé comme tel ; le poste n’est plus occupé par une personnalité politique mais par un administrateur. Le contrôle parlementaire est résiduel et les concertations avec les élus locaux consistent, au mieux, en des réunions d’information immédiatement en amont de l’annonce publique de décisions déjà actées.
En Allemagne, du fait de la nature fédérale de l’Etat, les échelons locaux ont des compétences qui les rendent incontournables dans la gestion de la crise. Avant chaque changement important, tous les présidents des Länder sont réunis autour de la chancelière pour parvenir à un diagnostic partagé et à des décisions aussi coordonnées que possible. La dernière de ces réunions a duré pas moins de quinze heures (!) : si c’est excessif, c’est aussi la preuve d’authentiques débats et prises de décision en commun.
Nostalgie. Les régimes de restriction mis en place ont, eux aussi, fortement différé entre la France et l’Allemagne. Celle-ci n’a pas connu de mesures d’interdiction générale applicables sur l’ensemble du territoire, mais a d’emblée préféré une adaptation aux spécificités locales. Elle a fermé les écoles face aux nouvelles vagues de Covid. En France, le premier confinement a été, tout le monde s’en souvient sans nostalgie, hyper-restrictif. L’impact sur les libertés comme sur l’économie a été considérable. Le confinement suivant a été plus souple avec un recours facilité aux dérogations via des attestations que le monde entier regarde avec étonnement – et qui introduisent cette pratique étrange : une norme générale édictée par l’Etat fixe des interdictions strictes, mais chacun peut ensuite y déroger assez tranquillement en s’autodélivrant des justificatifs dont personne ne peut, in fine, réellement contrôler la véracité.
De part et d’autre du Rhin, le résultat est identique: confusion, incompréhension, polémiques. Le plus grave étant que, de ce fait, la pandémie progresse, en raison de cet enchaînement d’évidences: des consignes incompréhensibles ne sont pas comprises, des consignes incomprises ne sont pas suivies, des consignes non suivies ne permettent pas de freiner la progression du virus
Désormais, les deux pays connaissent une confusion et des polémiques similaires : en Allemagne a été envisagé un « lockdown renforcé » pour le week-end de Pâques, qui peut s’analyser comme un tour de vis assez puissant et restrictif. En France, le gouvernement a annoncé de nouvelles restrictions dans de nombreux départements au vu de leur situation sanitaire, en mettant en place une nouvelle attestation, complexe et aussitôt supprimée, tout en se refusant à décréter en tant que tel un nouveau confinement.
De part et d’autre du Rhin, le résultat est identique : confusion, incompréhension, polémiques. Le plus grave étant que, de ce fait, la pandémie progresse, en raison de cet enchaînement d’évidences : des consignes incompréhensibles ne sont pas comprises, des consignes incomprises ne sont pas suivies, des consignes non suivies ne permettent pas de freiner la progression du virus.
Mélange. Il ne s’agit pas de donner des leçons faciles : la pandémie est inédite, sa gestion est infiniment complexe, et chacun fait au mieux. La période la plus récente permet en revanche de tirer collectivement au moins une leçon : confiner ou responsabiliser, il faut choisir. Le désordre et la confusion actuels résultent pour l’essentiel du mélange hasardeux de deux approches différentes. D’un côté, une approche restrictive et même autoritaire, en partie dérisoire d’ailleurs du fait d’auto-attestations invérifiables. De l’autre côté, une approche plus libérale, reposant sur des appels à la responsabilité citoyenne.
Malgré le côté un peu ridicule et infantilisant des campagnes de communication, le fond des messages portés est tout sauf absurde : appeler à la prudence, souligner l’importance des gestes barrière, rappeler la dangerosité du virus reste nécessaire en l’absence déplorable de doses suffisantes pour vacciner à grande échelle. Chacune de ces approches a sa cohérence et sa légitimité. Mais en ayant simultanément recours aux deux, des messages contradictoires se percutent pour finalement s’annuler et être privés d’effet.
Les pessimistes en déduiront que l’humanité ne comprend que la contrainte. Les optimistes tâcheront de tracer un autre chemin, où l’Etat aurait durablement à cœur de traiter les citoyens en adultes responsables
Pour résumer grossièrement, 1 la population, à force de petits indices distillés ici et là, s’attend à des interdictions absolues (ambiance générale avant la conférence de presse française la semaine dernière ; interdictions prévues en Allemagne pour le week-end de Pâques – exercice en soi périlleux pour la chancelière dirigeant un Etat non laïc, et appartenant à un parti chrétien), 2) elle est ensuite soulagée de voir que les régimes mis en place sont plus cléments que prévus (refus de reconfiner en France, annulation des interdictions en Allemagne) et ce soulagement est ô combien légitime après une année d’efforts et de difficultés, 3) du coup, les appels par ailleurs sages et raisonnables à la responsabilité deviennent inaudibles : puisqu’on a le droit de sortir, sortons, puisqu’on a le droit de voir des amis, voyons des amis.
Les pessimistes en déduiront que l’humanité ne comprend que la contrainte, et que seul le retour à des confinements stricts permettra – en attendant les vaccins – d’endiguer la pandémie. C’est malheureusement ce qui risque de nous arriver sous peu. Les optimistes tâcheront de tracer un autre chemin, où l’Etat aurait durablement à cœur de traiter les citoyens en adultes responsables.
L’année écoulée a révélé un esprit de responsabilité largement partagé. Les abus ont existé, mais ils n’ont pas été majoritaires. Ils doivent légitimement être réprimés, ce qui est possible sans en faire porter le poids à l’ensemble de la population, durement éprouvée et désormais bien fatiguée. Ce chemin est aussi un test pour chacun d’entre nous, tant il repose sur le civisme et l’esprit de responsabilité.
Matthias Fekl est avocat, ancien ministre.
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