« Une politique agricole qui mène aux suicides »

« Une politique agricole qui mène aux  suicides »

Jean-François Bouchevreau, président de Solidarité Paysans, et le philosophe Marc Crépon, appellent, dans une tribune au « Monde », à agir sur les causes de la crise agricole

 

 

 

Tribune.

 

 

En France, en 2015, il y a eu 605 suicides dans le monde agricole : 233 salariées et salariés, et 372 agriculteurs et agricultrices ont mis fin à leurs jours sans réaction à la hauteur des enjeux. Des chiffres qui montrent l’impasse du modèle de développement agricole industriel.

Nous qui accompagnons et défendons au quotidien des agriculteurs en difficulté, nous affirmons que ces paysannes et paysans ne sont pas des statistiques. Derrière chaque suicide, c’est une personne qui souffre et a perdu tout espoir. C’est une famille dont la vie est brisée, des enfants dont un des parents est parti pour toujours. Ces souffrances sont l’effet d’une violence insupportable faite aux paysannes et aux paysans que nous dénonçons.

Depuis 2019, avec l’immense succès du film Au nom de la terre, d’Edouard Bergeon, et la médiatisation du sujet, les politiques commencent à s’intéresser au suicide des paysans. Une mission parlementaire sur les difficultés en agriculture et la prévention du suicide a été confiée par le premier ministre au député Olivier Damaisin, qui a présenté son rapport en décembre 2020.

Ce rapport ne parle que de repérage, fichage, mentorat, communication, ignorant totalement les hommes, les femmes qui devraient être au centre d’un tel travail. A aucun moment il ne se questionne sur les causes de ce mal-être, contrairement aux sénateurs, Françoise Férat et Henri Cabanel, qui ont présenté le 17 mars, 64 recommandations, appelant l’Etat à se mobiliser, notamment sur la question cruciale de la faiblesse des revenus des agriculteurs.

Il faut revenir au sortir de la seconde guerre mondiale, et des lois d’orientation agricole de 1960-1962, pour comprendre les responsabilités. Le pouvoir politique et ce que l’on appelait alors « la profession » (c’est-à-dire les organisations agricoles institutionnelles : syndicalisme majoritaire, coopération, mutualité sociale agricole et chambres d’agriculture) se sont mis d’accord sur la « modernisation de l’agriculture » ; « la profession » gérant le développement agricole, en accord avec le pouvoir politique.

En 1955, il y avait 2 307 000 exploitations agricolesen 2013 il en restait 451 606, soit une disparition de 1 855 394 exploitations. C’est un autre résultat de cette politique agricole cogérée, de concentration des moyens de production, de l’endettement, de la surcharge de travail, qui a installé le modèle industriel pour lequel l’emploi paysan est toujours la variable d’ajustement au fil des crises.

 

 

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