La question du capital humain
Jean-Marc Daniel, économiste, évoque la nécessité de mieux prendre en compte la question du capital humain ( dans l’Opinion)
Tribune
A une époque où les dirigeants n’ont à la bouche que le mot compétitivité, c’est-à-dire la comparaison du coût du travail entre concurrents, il est important de prendre de la hauteur et de ne pas voir dans la rémunération du travail uniquement un coût. Naguère, certains économistes avaient popularisé, au travers de la référence à Ford, l’idée que l’entreprise devait voir dans ses salariés, non seulement des producteurs, mais aussi des clients potentiels. Pour ces économistes, l’entreprise a intérêt à se montrer généreuse en matière salariale car en distribuant du pouvoir d’achat, elle s’assure des débouchés.
Cette idée était en fait assez simpliste dans la mesure où, heureusement pour Ford, ses ventes ne se sont pas limitées à ses personnels. Elle a néanmoins permis de dépasser les visions réductrices du salaire en préparant la théorisation de ce que l’on appelle le « salaire d’efficience ».
Productivité. Parler de salaire d’efficience revient à substituer à la compétitivité la productivité, c’est-à-dire la mesure de l’efficacité du travail. C’est elle dont Jean Fourastié, l’auteur de la célébrissime formule des « Trente glorieuses », a fait la clé de la croissance. La productivité repose d’abord sur le progrès technique, sur l’efficacité accrue des machines et leur capacité à remplacer les hommes. Car il doit être clair que le mérite du progrès technique est de supprimer des emplois dans tel ou tel secteur économique, mais en pratique des emplois souvent fastidieux et pénibles, et ce afin d’en permettre la création dans d’autres secteurs.
Gary Becker définit ce capital humain comme un facteur de production à part entière, où s’agrègent compétence, expérience et volonté de se réaliser
La productivité repose ensuite sur l’usage que font les hommes des machines. C’est là que l’on retrouve le salaire d’efficience. L’usage de cette expression sert à affirmer que le lien entre la productivité et le salaire est dialectique : une productivité élevée permet de verser des salaires élevés, et symétriquement, des salaires élevés motivent les salariés et améliorent leur implication dans leur travail et dans la maîtrise des outils dont ils disposent, ce qui augmente leur productivité.
Prix Nobel d’économie en 1992, Gary Becker avait été récompensé pour une vision encore plus large de la gestion des ressources humaines fondée sur la notion de « capital humain ». Il définit ce capital humain comme un facteur de production à part entière, où s’agrègent compétence, expérience et volonté de se réaliser. Il s’acquiert par l’éducation et s’entretient par la formation. Il obéit à une logique de gestion qui n’est pas celle du capital physique mais où le respect de l’activité de chacun conduit à des rémunérations fixées en conformité avec sa productivité intrinsèque.
Au total, on peut affirmer que, dans une entreprise, la gestion des ressources humaines ne se saurait se limiter à généraliser le « cost-killing », à éviter les conflits et à amortir les frustrations. Une entreprise qui mène parfaitement sa barque sociale augmente son profit car un salarié en paix avec son environnement est plus productif.
Jean-Marc Daniel est directeur de la revue Sociétal.
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