Le retour de l’Amérique et la Chine
Maître de conférences à l’université Paris 2, Jean-Eric Branaa est l’auteur de Joe Biden, une biographie du président démocrate (Editions du Nouveau monde, 304 pages, 17,90 euros). Il met la dernière main à une biographie de Kamala Harris, la vice-présidente.
Joe Biden était concentré jusque-là sur l’adoption de son plan de relance et la campagne de vaccination contre la Covid-19. Les polémiques de ces derniers jours avec la Russie et la Chine signifient-elles qu’il va maintenant plus occuper la scène internationale ?
Assurément. Jusque-là, il fallait que le Président soit auprès des Américains, comme le docteur auprès de son malade. Joe Biden a fait très attention de ne pas brouiller cette image. Les Américains sont dans l’idée qu’il ne s’occupe que d’eux. Mais les Etats-Unis sont en train de sortir de la chaîne de contamination. Comme il l’a dit récemment, l’optimisme est de retour, même s’il faut rester prudent. Maintenant, je n’ai pas trouvé Joe Biden aussi discret que cela sur la scène internationale. Il a eu de nombreuses rencontres en visioconférence. D’abord avec Justin Trudeau, le Premier ministre du Canada, et Andrès Manuel Lopez Obrador, le président du Mexique, les voisins des Etats-Unis comme le fait traditionnellement tout nouvel occupant de la Maison Blanche, Donald Trump excepté. Ensuite, il a eu des échanges avec les grands leaders du monde.
Sa diplomatie a été réactive ?
La présence américaine a été forte sur le plan international tout de suite. Antony Blinken, le secrétaire d’Etat, a endossé rapidement sa fonction et réactionné ses réseaux de l’époque où il était numéro deux du département d’Etat. Ce qui lui a permis de se mettre au travail très vite. Il y a eu aussi la visite à Paris de John Kerry, l’envoyé présidentiel spécial sur le climat… Comme l’a annoncé Joe Biden, « l’Amérique est de retour » et le monde est redevenu ce qu’il était il y a cinq ans. C’est bien ce qu’ont compris les Chinois qui accusent les Etats-Unis de vouloir récupérer leur hégémonie. N’oublions pas que Joe Biden est un expert en matière de politique étrangère. C’est l’histoire de sa vie. Il connaît la plupart des leaders du monde. Il sait très bien se situer sur l’échiquier international. C’est lui qui tire les manettes derrière la commission des Affaires étrangères du Sénat dont le président, catholique comme lui, est un proche.
« Joe Biden a compris que, vis-à-vis de la Chine, il fallait que les Etats-Unis retrouvent une indépendance industrielle. Sa valeur ajoutée par rapport à Donald Trump, dont il a repris une bonne partie de la dialectique, est qu’il est en train de s’en donner les moyens »
La passe d’armes avec Poutine n’a pas été très diplomatique…
En réalité, il n’y a pas de sortie contre Vladimir Poutine. Il faut remettre cela dans un contexte. Il répond à un journaliste qui, lors d’une interview, lui demande si le président russe est un « tueur ». Il répond « oui je pense », mais ce n’est pas lui qui fait une déclaration en disant que Poutine est un tueur. Néanmoins, les rapports entre lui et Vladimir Poutine ont toujours été mauvais, voire exécrables. Quand ils s’étaient rencontrés, en 2014 Joe Biden lui avait dit : « Quand je vous regarde au fond des yeux, je ne pense pas que vous ayez d’âme »… Il n’y a pas véritablement d’affaire. Les enjeux entre la Russie et les Etats-Unis sont toujours les mêmes. La Russie est une puissance qui compte, mais ce n’est plus l’URSS d’avant la chute du mur de Berlin. En tant que sénateur, Joe Biden était déjà aux affaires à cette époque. Il avait alors dit que le problème était qu’il n’y avait plus qu’une seule puissance mondiale, les Etats-Unis, et que cela leur donnait une responsabilité supplémentaire. Pour les Américains, la Russie ne peut plus rivaliser. Au passage, la parole forte de Joe Biden a satisfait certains pays comme l’Ukraine, ravie d’entendre que la restitution de la Crimée était un préalable.
Et avec les Chinois ?
Avec la Chine, c’est radicalement différent. On est dans une nouvelle analyse de Joe Biden, différente de celle du moment où il était vice-président (2008-2016). A l’époque, il estimait qu’il ne fallait pas avoir peur de la Chine, en partant du principe qu’elle s’installait et que les Etats-Unis demeuraient la seule puissance. L’analyse de la période Obama — qui était la sienne puisqu’il avait la main sur la politique étrangère — était bien trop naïve, tandis que celle de Donald Trump est la bonne. Il y a un vrai changement de pied de sa part. Cela s’est vu lors de la rencontre du Quad, la semaine dernière, et surtout lors de celle en Alaska durant laquelle les ministres des Affaires étrangères américain et chinois se sont vilipendés. C’est du sérieux ! La concurrence est non seulement commerciale, mais également militaire, spatiale, technologique. Il y a de gros enjeux. Joe Biden a compris que, vis-à-vis de la Chine, il fallait que les Etats-Unis retrouvent une indépendance industrielle. Sa valeur ajoutée par rapport à Donald Trump, dont il a repris une bonne partie de la dialectique, est qu’il est en train de s’en donner les moyens.
N’est-ce pas aussi une manière de répondre à Donald Trump qui le soupçonnait de se montrer faible avec la Chine ?
Toutes les attaques de campagne de Trump, qui qualifiait son adversaire d’incapable quand il ne l’appelait pas « Sleepy Joe » (« Joe l’endormi »), ne s’avèrent pas. Les actes de Joe Biden sont un démenti extraordinaire avec la campagne de vaccination qui fonctionne très bien, les écoles qui rouvrent et l’économie qui repart. C’est loin d’être l’apocalypse annoncée !
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