La dérive de l’UNEF
Un papier dans l’opinion qui explique la dérive de l’UNEF et plus généralement celle de l’extrême gauche qui se revendique de l’idéologie victimaire.
La présidente de l’Unef, Mélanie Luce, a admis l’existence de réunions entre personnes « racisées » au sein du syndicat étudiant, suscitant de vives critiques de responsables politiques. Plusieurs voix appellent l’exécutif à dissoudre l’organisation. L’étudiante de 23 ans a reçu des milliers de messages d’injures et de menaces de mort.
L’Unef a une faculté : celle de créer l’unanimité, de la gauche républicaine à l’extrême droite. Sa présidente, Mélanie Luce, étudiante en droit à Assas, a déclenché une réaction en chaîne après avoir admis, mercredi sur Europe 1, que le syndicat étudiant organisait des réunions « non-mixtes racisées ». A droite, Bruno Retailleau a réclamé des poursuites pour « provocation à la haine raciale ». Eric Ciotti a exigé la dissolution du syndicat étudiant, « devenu l’avant-garde de l’islamo-gauchisme » et « un mouvement clairement antirépublicain ». Le numéro 2 du RN, Jordan Bardella, a fait plus bref : « Racialisme, islamo-gauchisme : #UNEFDissolution ! »
Côté macronie, l’ex-ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a appelé à engager des « moyens judiciaires » contre une « forme de séparatisme » et un « clientélisme indigéniste ». Vendredi, le ministre de l’Education, Jean-Michel Blanquer, disait vouloir interdire ces pratiques « racistes » qui « ressemblent au fascisme ». Gérald Darmanin s’exprimera à son tour, assure son cabinet à l’Intérieur. Voilà, ironiquement, la « cancel culture » dirigée contre l’Unef par ses meilleurs pourfendeurs…
Au cœur de la polémique, des réunions internes au syndicat qui se tiennent une fois par semestre, dénoncées comme interdites aux blancs. « On a mis en place des groupes de parole dans les années 2010 pour nos militants qui s’estiment victimes de discrimination, les femmes, les LGBT et les racisés », clarifie Adrien Liénard, vice-président de l’Unef. Il ne s’agit pas de réunions publiques, ni de débats politiques ou d’instances de décision, insiste-t-il : « C’est un lieu de libération de la parole sur les discriminations ressenties, hors des universités, pour que chacun vive bien son engagement. On ne peut pas combattre les discriminations si on ne le fait pas aussi en interne. On ne refuse personne. » Un compte-rendu anonymisé est ensuite diffusé à toute l’organisation.
». Ces groupes de « discriminés anonymes » en rappellent d’autres. En 1995, l’Unef Nanterre lançait la « Comas », commission anti-sexiste. « Des réunions entre filles, et nous, les mecs, on n’avait pas le droit d’y mettre les pieds », se remémore Thierry Keller, ancien militant Unef et coauteur de Ce qui nous rassemble. L’identité française à l’épreuve du XXIe siècle. La pratique s’est développée après la vague #MeToo, alors que des scandales sexuels ont éclaboussé l’organisation de jeunesse en 2017-2018. Mais l’époque a changé, et les anciens portent désormais le fer contre l’antiracisme communautaire : « L’Unef a cédé au saucissonnage des luttes, poursuit-il. J’étais un petit blanc de la classe moyenne, mais heureux de laisser mon identité au vestiaire pour me fondre dans un collectif. La catégorisation, c’est le grand échec de la gauche. »
«Ils ont tourné le dos à la tradition universaliste, alors que l’Unef était à la pointe du combat pour le droit à l’avortement, la sécurité sociale étudiante… Benoît Hamon a fait main basse sur le mouvement dans les années 2000. C’est Attila: partout où il passe, rien ne repousse» Julien Dray
L’Unef s’embourbe dans les controverses identitaires. En 2019, sa présidente a dû se désolidariser des posts de deux militants qui raillaient « l’identité française » et « un délire de petits blancs » après l’incendie de Notre-Dame de Paris. Plus grave, la branche Unef Grenoble a relayé sur les réseaux sociaux, début mars, la photo d’un collage accusant deux professeurs d’islamophobie, en pleine menace terroriste… Un proche de Frédérique Vidal évoque l’Unef comme « un problème », en lien avec la sortie de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche contre « l’islamo-gauchisme » — même si celle-ci visait des chercheurs.
Radicalité va de pair avec rétrécissement. « L’Unef est passée d’un mouvement de masse à une logique de fer de lance », analyse une source exécutive. Le syndicat vieux de 120 ans subit une chute électorale et, avec 30 000 adhérents revendiqués pour 2,5 millions d’étudiants, est désormais deuxième derrière la Fédération des associations générales étudiantes (Fage). « Plus on est petit, plus on crie fort, tacle un ancien de l’ère Bruno Julliard, président de l’Unef de 2005 à 2007. Les bagarres et les chaînes de vélo dans la figure, c’était violent mais au moins on se rencontrait. Aujourd’hui, chacun reste dans son couloir. Ils ne créent plus de projet de société ; ils créent de l’atomisation et de la cohésion contre eux. »
En défense, Jean-Luc Mélenchon dénonce « une histoire de fous » : « C’est comme si vous disiez que les réunions d’alcooliques anonymes sont des réunions anti-sobriété, c’est absurde… » « Le bilan de cette génération est une catastrophe, charge Julien Dray, ex-député PS, fondateur de SOS Racisme et ancien cadre de l’Unef. Ils ont tourné le dos à la tradition universaliste, alors que l’Unef était à la pointe du combat pour le droit à l’avortement, la sécurité sociale étudiante… Benoît Hamon a fait main basse sur le mouvement dans les années 2000. C’est Attila : partout où il passe, rien ne repousse. La confrontation viendra, le courant laïc universaliste ne baissera plus la tête ! »
A la direction de l’Unef, on évacue : « Ils étaient jeunes dans les années 2000 ; on est en phase avec notre génération ». « L’Unef s’y prend mal, mais c’est une erreur politique de tout balayer d’un revers de main, estime Hakim El Karoui, spécialiste des questions d’intégration et chroniqueur à l’Opinion. Les questions identitaires posées sont légitimes. L’universalisme ne fonctionne pas, on sait qu’il faut des actions correctrices, on a inscrit la discrimination positive dans la Constitution il y a vingt ans. Le plus inquiétant, c’est le gap générationnel. L’establishment est choqué, alors que les 18-25 ans y voient du respect, comme les féministes des années 1970. » Symbole de fractures, cette polémique révèle une France qui ne sait pas débattre de ses maux. Et préfère d’autres voies : mise au ban, judiciarisation, menaces… ou effacement.
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