L’alerte à la hausse des contaminations va concerner d’autres régions (L’épidémiologiste Arnaud Fontanet)
L’épidémiologiste Arnaud Fontanet, membre du conseil scientifique, estime que l’alerte à la hausse des contaminations va concerner d’autres régions que celles soumises aux récents confinements.( Interview dans le JDD)
Comment comprendre ce « confinement » ouvert, dont Emmanuel Macron réfute le nom?
Le gouvernement choisit une approche rationnelle qui s’appuie sur un double constat. D’une part, l’impact très lourd du confinement sur la santé mentale des Français. D’autre part, la physiologie de la transmission du Sars-CoV-2. La très grande majorité des contaminations se produit en espaces clos – repas, bureaux partagés, covoiturage… –, lorsque les mesures barrière ne sont pas respectées. La stratégie consiste donc à dire : avec le retour des beaux jours, sortez, promenez-vous, faites du sport, tout en évitant les regroupements. Mais en contrepartie – et il faut insister –, limitez au maximum vos rencontres en intérieur, et si vous en avez, appliquez strictement les gestes barrière.
Les mesures annoncées suffiront-elles à freiner l’épidémie?
La question est de savoir si, avec la lassitude ambiante, les gens vont comprendre et se saisir de ces consignes. Mais en Île-de-France, dans les Hauts-de-France et en Paca, on n’a pas le droit à l’erreur. On frôle déjà les 100% de saturation en réanimation. Quoi qu’il arrive, on a devant nous deux à trois semaines avant que les mesures prises aient un effet sur les admissions en réanimation, pendant lesquelles le variant anglais va achever d’occuper l’espace. La pression sur l’incidence sera d’autant plus forte qu’il représentera 90% des cas fin mars et 100% courant avril, sachant qu’il est 60% plus transmissible que le virus historique.
Fallait-il laisser les écoles ouvertes?
Une fois que l’on est, comme aujourd’hui, dans une situation où le virus circule fortement, maintenir les établissements ouverts revient à prendre un risque. L’école n’est pas un amplificateur mais un reflet de la circulation du virus dans la communauté. Si l’immense majorité des enfants ne fait pas de complications cliniques, ils exposent leurs proches ayant des comorbidités ou leurs grands-parents. Dans l’étude ComCor que nous avons menée à l’Institut Pasteur, avoir un collégien ou un lycéen chez soi accroît de 30% le risque d’être infecté. On n’a pas observé d’augmentation de risque avec un enfant en primaire, mais c’était avant l’arrivée du variant anglais. Le dédoublement des classes de lycée par groupes va donc dans le bon sens. Mais il faut vraiment y réfléchir pour les collèges.
Une fermeture prochaine est-elle envisagée?
La question se pose. L’école est le talon d’Achille assumé du dispositif actuel. Mais garder les établissements ouverts le plus longtemps possible est important : il faut être strict sur les mesures sanitaires, notamment pendant les repas, éviter les regroupements aux alentours et y intensifier le dépistage. En Autriche, les élèves de primaire font deux autotests par semaine, ceux du secondaire, un seul. La France a l’une des plus fortes capacités de dépistage d’Europe : inspirons-nous de nos voisins!
Le conseil scientifique réclamait une stratégie précoce, régionale et ciblée pour anticiper la saturation hospitalière. Emmanuel Macron ne vous a pas entendus?
Le gouvernement y réfléchit, mais il prend aussi en compte les enjeux économiques et la santé mentale des Français. Pour nous, le maître mot demeure l’anticipation. C’est maintenant qu’il faut agir et tester ailleurs l’impact de nouvelles mesures pour voir si elles marchent, avant d’arriver au stade où l’on n’a plus d’autre choix que de tout fermer. Hormis la façade atlantique (Bretagne, Pays de la Loire et Nouvelle-Aquitaine) et peut-être la Corse qui ont toujours mieux résisté, on peut redouter que les autres Régions basculent bientôt dans une situation très difficile avec la poussée du variant anglais. Si les mesures proposées pour l’Île-de-France et les Hauts-de-France, sans doute allégées pour les commerces, étaient mises en place précocement dans ces autres Régions, on aurait le temps d’évaluer leur efficacité pour n’avoir à les durcir qu’en cas de nécessité.
Une réouverture des lieux culturels est-elle envisageable dans les zones peu touchées?
Il y a peut-être un peu de marge. Les données dont on dispose sur ces lieux quand ils étaient ouverts en octobre étaient rassurantes mais datent d’avant l’arrivée du variant anglais. Une fois la pleine mesure de l’intensité de l’épidémie connue quand le variant anglais occupera tout l’espace, on pourra voir si des allègements sont possibles dans les Régions où la circulation du virus est la mieux contrôlée.
Les Français seront-ils libérés avant l’été, grâce à la vaccination?
D’ici mai ou juin, on attend une réduction de 50% des hospitalisations par rapport à une situation sans vaccin. Mais tout dépend du contrôle de l’épidémie : diviser par deux, c’est très bien, mais cela ne nous mènera pas loin si les courbes s’envolent! L’impact réel de la campagne se fera sentir à l’été, si la population accepte de se faire très largement vacciner. Pour autant, il est crucial de ne pas aborder cette période estivale avec une circulation trop élevée du virus. Le variant anglais pourrait se révéler très déstabilisant lorsque les gens vont se relâcher, même si les plus fragiles sont protégés.
Vous aviez été le premier à parler des effets secondaires graves potentiels des vaccins. Que vous inspire le cas AstraZeneca?
C’est une bonne illustration d’une pharmacovigilance réactive. Sur 20 millions de vaccinés en Europe et en Grande-Bretagne, on a détecté 18 cas de ces thrombophlébites cérébrales avec troubles de la coagulation. Seize concernent des femmes, presque toutes âgées de moins de 50 ans. Le risque est faible mais suffisant pour recommander de basculer les injections au-delà de cet âge. La transparence est cruciale. Il faut s’adapter, et ne pas enterrer un vaccin parce qu’il y a un jour eu un signal. Et les nouvelles données du Royaume-Uni montrent que le produit d’Astra Zeneca est très efficace chez les personnes âgées contre les hospitalisations, déjà quinze jours après la première dose.
Les variants peuvent-ils compromettre la campagne vaccinale?
Ma réserve, c’est l’efficacité des vaccins contre les mutants du type sud-africain ou d’autres qui pourraient émerger. Cet « échappement » se produit quand la circulation du virus reste élevée et qu’une part importante de la population est immunisée, naturellement ou par vaccin. En Inde, au Brésil, en Afrique du Sud ou au Mexique, le risque d’apparition de nouveaux variants est important. Il faudrait une campagne de vaccination massive dans ces pays pour éteindre cette étincelle potentielle.
Faut-il avoir peur du mutant breton?
Il nous inquiète dans la mesure où il est plus difficile à détecter par prélèvement nasopharyngé et peut donc passer inaperçu. Cela rend le dépistage et l’isolement des malades difficile. Des enquêtes sont en cours par séquençage et par sérologie pour estimer l’étendue de sa diffusion. Mais il est trop tôt pour déterminer l’ampleur et la gravité qui y sont associées.
Une quinzaine de « recombinants » ont été détectés au Royaume-Uni. Est-ce préoccupant?
La recombinaison est un phénomène courant avec les coronavirus. Il s’agit d’un échange de matériel génétique entre deux virus infectant la même personne. Il est difficile à détecter sauf quand un variant avec une séquence génétique suffisamment distincte apparaît, comme cela a été le cas avec le variant anglais. Il est encore trop tôt pour dire si ces recombinants représentent une nouvelle menace dans le cours de cette épidémie qui nous a déjà réservé bien des surprises.
Situation sanitaire : les deux tiers des Français ne font pas confiance au gouvernement
Selon un sondage Ifop pour le JDD, Il n’y a guère que les proches de la République en marche (91%) et les électeurs d’Emmanuel Macron à la présidentielle de 2017 (70%) pour garder une confiance majoritaire dans la capacité du gouvernement à lutter efficacement contre le coronavirus. Ce chiffre est au plus bas depuis de le début de la crise sanitaire (34%).
Les Français interrogés par l’Ifop pour le JDD font confiance au gouvernement pour aider les entreprises en difficultés ( à vérifier ! NDLR) , mais seuls 34% (-4 points par rapport au 4-5 mars) l’estiment capable de lutter contre le coronavirus et 41% (+3 points par rapport au 4-5 mars) de mener à bien la campagne de vaccination. Les plus sceptiques sur ce dernier sujet : les 18-24 ans (30%). Les moins confiants : les 35-49 ans (48 %).
« La confiance économique est toujours là, bien incarnée par Bruno Le Maire, observe Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l’Ifop. Mais jamais la confiance à l’égard de la gestion sanitaire n’a été aussi faible. » Mi-avril 2020, alors que le gouvernement annonçait le déconfinement du pays, ils étaient près de 46% à croire en la capacité du gouvernement à faire face au Covid-19. Un an plus tard, ils sont dix points de moins. Les artisans ou commerçants (31%), les ouvriers (29%) et les professions intermédiaires (28%) sont particulièrement sévères. Le Rassemblement national (13%) et les sympathisants de gauche également (33%).
Vaccination : changer de rythme et vite !
La présidente du Comité vaccin, Marie-Paule Kieny, estime qu’il faut « très vite changer d’échelle » pour la campagne vaccinale alors que le nombre de doses disponibles devrait fortement augmenter en avril. Elle incite à « créer des centres de vaccination comme les Etats-Unis l’ont fait depuis l’élection de Joe Biden avec des gymnases ouverts parfois 24 heures sur 24″.(Interview dans le JDD)
La France limite l’emploi du vaccin d’AstraZeneca aux plus de 55 ans. Est-ce justifié, alors que l’Agence européenne du médicament l’estime « sûr et efficace »?
Les autorités européennes ont pris le temps d’analyser les données et c’est très rassurant : on a trouvé un nombre inférieur de cas de thromboses parmi les personnes vaccinées par rapport à ce qui est attendu en population générale. Cela penche clairement en faveur de la poursuite de la campagne. On va cependant continuer à acquérir des informations sur une forme particulière inattendue et grave, et analyser de près son éventuel lien de causalité avec le vaccin. Dans l’attente, ces épisodes ayant été rapportés chez des personnes de moins de 55 ans, la Haute autorité de santé a recommandé d’utiliser plutôt d’autres vaccins dans cette tranche d’âge. C’est une position raisonnable.
Sa suspension temporaire n’a-t-elle pas accru la défiance des Français?
C’était une décision difficile. Dans une situation où les annonces inquiétantes se multipliaient, avec sept cas déclarés en Allemagne, il paraissait raisonnable de chercher à comprendre et de marquer une pause. Le début de la confiance, c’est la transparence. Cette prudence des pouvoirs publics doit justement donner confiance à nos concitoyens.
Pourquoi cet effet n’est-il pas apparu lors des essais cliniques, ou en Grande-Bretagne, où ce sérum a été massivement administré?
Pour l’instant, le lien de causalité n’a pas été démontré, ni la plausibilité biologique, c’est-à-dire, si le vaccin est en cause, quels mécanismes sont en jeu. S’il était établi, cet effet indésirable ne toucherait que quelques personnes sur un million environ. Les essais cliniques les plus importants portaient sur 40.000 volontaires, dont la moitié ont reçu un placebo, et n’auraient pas permis d’identifier un phénomène aussi rare. En Grande-Bretagne, le produit d’AstraZeneca a été administré en majorité à des plus de 65 ans. Une tranche d’âge dans laquelle cette forme de thrombose cérébrale n’a pas été non plus été détectée dans le reste de l’Europe.
La campagne française avance-t-elle assez vite?
Bien sûr que non. Mais son rythme est contraint par l’approvisionnement, pas par notre capacité à injecter les doses. Grâce aux week-ends de vaccination intensive, on n’avait plus de flacons « dormants ». Avec l’interruption d’AstraZeneca on a à nouveau du stock à écouler. A partir d’avril on espère avoir bien plus de doses disponibles. Il faut donc très vite changer d’échelle, créer des centres de vaccination comme les Etats-Unis l’ont fait depuis l’élection de Joe Biden avec des gymnases ouverts parfois 24 heures sur 24. En France, on a peut-être péché par excès de prudence. Les « vaccinodromes » souffrent d’une image négative. Mais si la campagne ne repose que sur les hôpitaux, les généralistes et les pharmaciens, on n’ira pas assez vite pour mener à bien cette phase « 2.0″ où l’on va essayer de vacciner tout le monde.
Le vaccin unidose de Johnson&Johnson, attendu mi-avril, peut-il changer la donne?
Un produit de plus, une seule injection, c’est une excellente nouvelle! Cela augmentera le nombre de doses disponibles mais ne révolutionnera pas la stratégie de vaccination, car les capacités de production de ce fabriquant sont inférieures à celles de Pfizer/BioNTech. Mais notre arsenal va bientôt s’enrichir. On attend l’enregistrement par les autorités européennes du produit de Novavax, dont l’atout est d’être très bien toléré. On espère que celui de Curevac, qui livrera ses résultats en avril-mai, sera aussi efficace que les deux vaccins à ARN messager déjà disponibles. L’Europe a aussi débuté l’examen du russe Spoutnik. Les résultats d’efficacité présentés à Moscou, en novembre, nous avaient convaincus. Quant à celui que Sanofi développe avec GSK, malgré son retard, il semble extrêmement prometteur. On attend en principe son autorisation avant la fin de l’année.
Les variants chamboulent-ils la stratégie?
Pour l’instant non. Les vaccins développés sur la base de la souche historique génèrent des anticorps qui neutralisent le mutant britannique, aujourd’hui dominant en France. On ne sait pas encore si ce dernier aura un avantage compétitif sur le variant dit sud-africain dans sa capacité à infecter, ou si ce sera le contraire. Il faudra aussi suivre de près la capacité de la population générale à neutraliser les variants qui apparaissent à divers endroits, que ce soit par l’immunité conférée par le vaccin ou par une infection passée. La plupart des producteurs se préparent pour, le moment venu, remplacer ces vaccins par des formules monovalentes, contre un variant, ou bivalentes, associant dans la même seringue un produit contre la souche historique et contre le variant.
Connaît-on l’impact de la vaccination sur la transmission du virus?
D’après l’expérience d’Israël, qui n’a injecté que Pfizer/BioNTech, elle semble bien réduire la transmissibilité et donc protéger contre l’infection. Ces données récentes sont compatibles avec les essais menés sur les animaux pour différents vaccins. Les hamsters et les primates vaccinés ont beaucoup moins de virus dans la sphère respiratoire supérieure que les non-vaccinés, et celui-ci disparait plus vite. On attend donc une réduction de la transmission chez l’homme, peut-être pas de la même intensité selon les vaccins.
Faudra-t-il vacciner les enfants?
Il faut d’abord démontrer la tolérance et la sécurité chez les jeunes. Pfizer/BioNTech a déjà des données pour les adolescents à partir de 16 ans et démarre des essais cliniques en descendant dans les tranches d’âge, comme AstraZeneca et Moderna, qui ira jusqu’aux bébés de 6 mois. On attend des résultats avant l’été. Si on veut empêcher la circulation du virus, il n’y a pas photo : il faudra vacciner les adolescents et les enfants.
0 Réponses à “L’alerte à la hausse des contaminations va concerner d’autres régions (L’épidémiologiste Arnaud Fontanet)”