Discrimination et repli communautaire

Discrimination et repli communautaire

Fruit d’une longue enquête auprès d’habitants de quartiers populaires, l’ouvrage collectif coordonné par le sociologue Julien Talpin montre que les discriminations agissent comme des processus d’assignation et favorise le repli communautaire.

Par Valentine Faure du Monde

Livre. En 1972 était votée la première loi sur les discriminations. Cinquante ans plus tard, le droit s’est étoffé de vingt-cinq critères liés à l’âge, l’état de santé, les opinions, les « mœurs »… Mais la hiérarchie des discriminations les plus enregistrées par le Défenseur des droits n’a guère changé depuis 2005 : c’est toujours l’origine nationale ou ethnique qui figure parmi les critères les plus cités.

 

La réalité des discriminations en France a été largement démontrée, notamment par les enquêtes « Trajectoires et origines » (INED, 2016). Celle menée par Julien Talpin, chercheur au CNRS, et six sociologues auprès de 245 habitants de quartiers populaires, si elle confirme une « situation dramatique », se penche plutôt sur les conséquences de ces discriminations : ce qu’elles font « aux corps et aux âmes ». Sont-elles interprétées comme des injustices par ceux qui en sont victimes ? Donnent-elles lieu à des mobilisations ? Comment façonnent-elles les rapports au monde social ?

Des querelles sur les déterminismes de race et de classe, on ne reçoit que le souffle toxique de la polémique. Cette enquête de grande ampleur se penche sur les vies que ces débats survolent sans les saisir. Les concepts de classe et de race quittent le domaine de l’abstraction et viennent ici façonner les biographies, limiter les existences, redéfinir les identités. Avec quel constat ? « Notre investigation confirme que l’expérience répétée des discriminations affecte le rapport à l’appartenance nationale des individus. (…) De fragiles “nous musulmans” et “nous minorités ethnoraciales” se font jour dans les quartiers populaires français. » Le temps que l’on imagine un camp se frotter les mains, on lit que ces nouvelles affiliations identitaires sont cumulables, labiles. Que « ce ne sont pas les “entrepreneurs identitaires”, d’ailleurs peu connus de nos enquêtés, qui facilitent la construction de ces nous minoritaires », mais surtout les expériences de minoration qui jouent un rôle essentiel.

 

Car les discriminations, entend prouver ce travail d’enquête, agissent comme des processus d’assignation. Ainsi ce Tunisien naturalisé français cité dans l’enquête qui, à force de propos désobligeants subis depuis les attentats contre Charlie Hebdo en 2015, ne s’est « jamais senti aussi musulman, sans l’être ». En fait d’un séparatisme volontaire qui minerait la cohésion nationale, les auteurs décrivent un mouvement inverse, par lequel le repli identitaire est activé par la discrimination. Si l’entre-soi peut devenir protecteur et que le repli sur le quartier, « forme “d’exil intérieur”, constitue un moyen de contourner les discriminations », il est surtout subi. Le plus souvent, le discours constaté est, comme dans la société française en général, celui de la critique du communautarisme et de la valorisation du mélange social et ethnoracial. « Je suis choquée de voir qu’au collège il n’y a pas de Français, c’est grave ! », dit ainsi une jeune fille de Vaulx-en-Velin (Rhône). Car être ou ne pas être séparé de la République, concluent les auteurs, « n’est pas une affaire de choix individuel : c’est, avant tout, une affaire d’Etat ».

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