«Contre les bombes artisanales, : revoir la stratégie militaire »
L’ancien chef d’état-major de l’armée de l’air, le général Denis Mercier sstime que la lutte contre les engins explosifs improvisés (IED) passe par des solutions numériques et des compétences développées par l’Otan pour l’ancien chef d’état-major de l’armée de l’air ( L’Opinion)
Tribune
Au Mali, entre le 28 décembre et le 2 janvier, cinq soldats français ont été tués dans l’explosion de leur véhicule blindé léger. Ces deux attaques, dues à engins explosifs improvisés (IED), ont fait passer le cap symbolique des 50 morts depuis le début de l’intervention française dans le pays, en 2013.
Emblématiques des récents conflits, de l’Afghanistan à la guerre d’Irak, du Sahel au Levant, les bombes artisanales sont des armes bon marché, menaçant nos soldats dans des guerres désormais asymétriques. Enfouis dans le sol, les IED se déclenchent au passage des convois et causent de lourdes et tragiques pertes humaines. Ces attaques contraignent la liberté de mouvement et poussent les états-majors à privilégier des déploiements sécurisés derrière les murs d’une emprise fortifiée, et à aller au contact de la population dans des convois fortement blindés.
Comment contrer cette menace à laquelle les armées françaises sont exposées depuis de longues années ? Nos alliés ont été confrontés à ce même défi et ont décidé de traiter cette menace en amont, avec l’aide des nouvelles technologies.
Arme du pauvre. Aucune des armées engagées actuellement dans des missions de maintien de la paix ou de gestion de crise n’est épargnée par cette menace. Fort de ce constat, l’Otan a développé un concept de lutte contre les IED en amont, fondé sur l’analyse de données hétérogènes, le partage d’expériences, les échanges et la coordination de l’information. Ainsi la lutte contre les engins explosifs improvisés agrège des données provenant des réseaux humains, financiers, techniques et logistiques, à l’œuvre dans la production de cette « arme du pauvre ».
Aujourd’hui, les armées françaises ne font pas assez appel aux compétences développées par l’Alliance atlantique et à l’expérience acquise par les alliés au sein d’un centre d’excellence dédié, qui permettraient d’assister la force Barkhane et d’améliorer ses capacités de lutte contre les menaces de type IED.
Les outils numériques demandent un partage de données qui peuvent venir de multiples capteurs déployés au Sahel, mais aussi des armées alliées
Deux grands axes dirigent la lutte contre ces engins : la réponse « sur le terrain » consistant à protéger les convois et à détecter les IED enfouis dans le sol, et celle, plus en amont, permettant de détecter les paramètres dans de nombreux domaines qui, une fois corrélés, identifient les filières de fabrication, de stockage et de mise en œuvre pour mieux les contrer avant qu’ils soient enfouis.
Pour le premier, la capacité à stocker et comparer les très nombreux renseignements sur les voies de communication permettrait d’anticiper le risque, et d’établir les moyens de protection adéquats ou de lancer des missions d’investigation sur les zones suspectes. S’il n’est pas possible d’avoir des hommes et des femmes qui surveillent ces zones H24 ou dissèquent les quantités d’informations disponibles sans aide, les outils numériques démultiplient les capacités d’analyse. Ils demandent un partage d’informations et une architecture numérique autorisant la corrélation de données qui peuvent venir de multiples capteurs déployés au Sahel, mais aussi de toutes les armées alliées qui voudront contribuer à cette mission.
Sur étagère. Sur le deuxième axe, il s’agit d’identifier les réseaux multiples (humains, techniques, logistiques, financiers et bien d’autres) entrant dans la réalisation des IED. Seuls des algorithmes puissants, capables de gérer de grands volumes de données hétérogènes permettront la détection des signaux faibles et leur corrélation pour modéliser les filières et les démanteler en amont.
Sur la base du concept développé par l’Alliance atlantique, et dans l’attente d’une capacité européenne crédible, l’acquisition de solutions numériques sur étagère pouvant être utilisées immédiatement pour organiser et corréler de très grandes quantités de données, comme cela a été le cas pour la lutte menée en France contre le terrorisme par la sécurité intérieure, permettrait une première réponse rapide et efficace. Avec un seul objectif : sauver des vies.
Le général Denis Mercier a été chef d’état-major de l’armée de l’air française, puis commandant suprême allié chargé de la transformation de l’Otan (ACT). Il a rejoint le groupe privé Fives en 2018.
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