Le nouveau roman de la réforme scolaire de gauche
« Les mythes, totems et simplifications historiques peuvent empêcher de réfléchir sereinement aux questions scolaires », prévient, dans une tribune au « Monde », l’enseignant et historien de l’éducation Jérôme Martin.
Tribune.
Comme souvent dans les périodes préélectorales, tribunes, appels ou collectifs commencent à fleurir depuis quelques semaines pour appeler à une vraie politique de gauche. Le système scolaire n’échappe pas à ce marronnier, bien au contraire. Un texte récent publié par Libération le 29 janvier sous le titre « Jean Zay, reviens vite, ils sont devenus fous ! » en fournit un nouvel exemple. Car à côté du roman national que les historiens déconstruisent régulièrement, il en existe un autre, le roman de la réforme scolaire de gauche, avec aussi ses mythes, totems et simplifications historiques, qui peuvent empêcher de réfléchir sereinement aux questions scolaires d’aujourd’hui.
Le texte mobilise à plusieurs reprises le terme générique d’« école » (« Notre école va mal », « L’école devrait être une promesse d’égalité sociale et d’émancipation pour tous les enfants », « bâtir le projet d’une école démocratique, progressiste, laïque, républicaine »), qui charrie toutes sortes de représentations mythiques et, finalement, joue le rôle de mot écran.
Car l’école de Jean Zay n’existe plus. Les signataires, réunis au sein d’un collectif ayant pris le nom du ministre de l’éducation du Front populaire, savent bien qu’à l’époque, « l’école » était en fait constituée de trois ordres d’enseignement cloisonnés et hiérarchisés (primaire, secondaire, technique). Ils savent également que la mise en place du « collège unique » s’est faite malgré d’énormes oppositions.
Utiliser ce terme générique d’école conforte le mythe, fortement ancré dans notre société, de l’école primaire de la IIIe République. Plutôt que « d’école », mieux vaudrait parler de « système scolaire », qui souligne l’encastrement de filières de formation, diversifiées et hiérarchisées, dans une structure unifiée. Mais le roman scolaire repose également sur cette mythologie réformatrice de gauche.
Convoquer la figure de Jean Zay et le plan Langevin-Wallon [de 1944] revient certes à mettre en avant des marqueurs identitaires de gauche qui peuvent faire sens dans un petit milieu universitaire ou militant, mais nullement dans la société, et très peu parmi les enseignants en raison des transformations de leur identité professionnelle.
La démocratisation scolaire promue à cette période était celle d’une démocratisation de la sélection pour élargir le recrutement des élites aux élèves méritants de l’enseignement primaire. La réalisation de « l’école unique », la scolarisation de tous les enfants au sein d’un seul enseignement primaire, devait assurer la promotion des meilleurs élèves des catégories populaires. Pour Langevin-Wallon s’y ajoutait le projet d’une culture commune et d’une élévation générale des qualifications.
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