Licenciements : différés pour l’instant
Un article du Wall Street Journal dePatrick Thomas et Kathryn Dill
Des millions de salariés ont perdu leur emploi pendant la pandémie, mais se séparer d’un collaborateur en raison d’une performance laissant à désirer est devenu beaucoup plus compliqué, selon certains employeurs.
Les entreprises comptaient des salariés sous-performants dans leurs rangs au début des confinements liés au virus et c’est encore le cas aujourd’hui. Cependant, alors que leurs collaborateurs accusent le coup d’un an de stress en tout genre - fermeture des écoles, crises de garde d’enfant, burnout de longues journées enfermés à la maison -, de nombreuses entreprises hésitent à procéder à des licenciements ou même à évoquer des problèmes de sous-performance pour le moment, signalent des dirigeants et conseillers d’entreprise.
Depuis l’annonce de la pandémie il y a près d’un an, les Etats-Unis ont perdu 9,5 millions d’emplois, selon le département du Travail, mais le gouvernement n’assure pas de suivi des licenciements liés à la performance. Toutefois, certaines entreprises et conseillers en ressources humaines disent que de nombreux employeurs appellent officieusement à l’indulgence.
Perdre son emploi implique de se retrouver dans un marché du travail fragile et souvent perdre son assurance santé dans un contexte de crise sanitaire mondiale. Sans vision claire des difficultés des équipes distantes, certains dirigeants d’entreprise déclarent qu’ils ne sont pas certains de l’origine des problèmes de performance, particulièrement si le salarié donnait satisfaction dans le passé.
« Nous prenons davantage de temps pour comprendre la situation personnelle », explique Chirantan CJ Desai, directeur produits chez ServiceNow, à Santa Clara, en Californie. Il ajoute que l’entreprise réfléchit à deux fois avant de placer les salariés dans des programmes d’amélioration de la performance, ce qui constitue souvent un prélude à leur licenciement.
« On se demande sérieusement s’il existe d’autres aspects à prendre en compte : la santé, la garde des enfants, l’isolement, la santé mentale », explique-t-il.
Les managers qui pensent devoir licencier un salarié doivent souvent documenter les problèmes de performance à l’aide de technologie comme le suivi du nombre d’heures de connexion d’un salarié en télétravail
Les personnes qui ont été embauchées ou intégrées de manière virtuelle au cours de l’année dernière, ainsi que les collaborateurs avec un historique de bonne performance dans le passé se voient attribuer le bénéfice du doute, indique Chirantan CJ Desai, au sujet de son groupe, qui compte 6 000 collaborateurs dans le monde. Avant qu’un salarié ne soit placé dans un programme d’amélioration de la performance, il passe un entretien en vidéo avec son responsable lors duquel ils évoquent la possibilité que l’entreprise n’ait pas couvert un élément lors de la formation et abordent d’éventuels problèmes personnels affectant le travail. De ce fait, le nombre de salariés placés en programme d’amélioration de la performance a chuté l’an dernier, rapporte Chirantan CJ Desai.
LaCinda Glover, conseillère en ressources humaines pour la société de conseil Mercer LLC, observe que certains employeurs hésitent à licencier et que certains managers sont plus réticents à placer les salariés en programme d’amélioration de la performance, pendant la pandémie. Les patrons cherchent un équilibre entre les exigences économiques et la compassion, ajoute-t-elle.
« La fenêtre dans laquelle on considère qu’une personne a rempli ses objectifs était beaucoup plus grande l’an dernier que dans le passé », commente LaCinda Glover, ajoutant que de nombreux employeurs ne veulent pas que « l’impact de la pandémie laisse une marque négative dans le dossier de quelqu’un. »
Rebecca Weaver, ancienne responsable RH et fondatrice du cabinet de coaching HRuprise, estime que licencier un salarié en pleine crise sanitaire pèse davantage sur un manager qu’en période normale.
« Les temps sont durs pour beaucoup de gens sur le plan économique. Tout le monde a de plus en plus conscience de ce problème et de la question de l’assurance maladie », explique-t-elle. Les entreprises se demandent aussi si cela vaut la peine de faire des évaluations de performance pour l’année 2020, ajoute-t-elle.
Brian Kropp, directeur de la recherche en ressources humaines chez Gartner, note que certains salariés qui auraient pu être considérés comme sous-performants ont été renvoyés lors de licenciements de masse aux premier et deuxième trimestres 2020, au début de la pandémie.
« Quand on réduit les effectifs, on étudie les personnes qui sont dans la zone basse, mais pas suffisamment mauvais pour être renvoyés et on saisit l’occasion de les manager », indique-t-il.
Dans certains cas, les entreprises revoient leur méthode pour évaluer la performance.
Avec la pandémie, la société de technologie en ressources humaines Zenefits a abandonné son processus d’évaluation annuelle de performance au profit de conversations mensuelles entre les salariés et leur responsable. Ce processus a commencé par la fixation d’objectifs et, par la suite, chaque mois se concentre sur l’évaluation des progrès. Les salariés peuvent également donner à leurs chefs leurs avis sur leurs performances.
« Nous ne savons pas ce que les gens font toute la journée. Nous devons donc les responsabiliser et fixer des objectifs », estime Tracy Cote, responsable ressources humaines chez Zenefits.
L’année dernière, les managers ont pris conscience des difficultés rencontrées par les salariés en télétravail, ce qui rend les employeurs plus enclins à « leur donner une deuxième voire une troisième chance qu’ils n’auraient pas eue dans le passé, sachant qu’ils ont des circonstances atténuantes, certaines dont nous sommes informés et d’autres non », commente Tracy Cote.
Les managers qui pensent devoir licencier un salarié doivent souvent documenter les problèmes de performance à l’aide de technologie comme le suivi du nombre d’heures de connexion d’un salarié en télétravail, explique Eve Klein, avocate chez Duane Morris, un cabinet juridique spécialisé dans les questions d’emploi et d’immigration.
David Pogrund, avocat chez Stone Pogrund & Korey, note que les salariés licenciés qui avaient de mauvaises conditions de télétravail ou qui souhaitaient prendre des congés pour s’occuper d’un proche malade pourraient déclarer avoir fait l’objet de représailles.
David Pogrund, qui enseigne le droit du travail pour les managers à la Booth School of Business de l’Université de Chicago, estime que les employeurs devraient donner à leurs salariés de nombreuses occasions de s’expliquer et de remédier aux problèmes.
« On peut établir de nouveaux ou de plus réalistes objectifs, suggère-t-il. Personne ne souhaite licencier quelqu’un dans ce contexte si ça peut être évité. »
Anthony Shaw, président de l’entreprise de bâtiment écoresponsable Progeneration Energy, à The Woodlands, au Texas, explique que les managers donnaient aux salariés plusieurs chances de rectifier les problèmes de performance, mais que le télétravail rendait les choses plus difficiles.
Un salarié de Progeneration avait des difficultés à finir son travail. Ses responsables lui ont donné l’occasion de s’améliorer, ont réparti ses tâches entre ses collègues et l’ont contacté à plusieurs reprises pour comprendre si des problèmes personnels affectaient son travail, le tout sans résultat. Anthony Shaw a dû finir par licencier cette personne, même s’il l’a maintenue à son poste plus longtemps qu’il ne l’aurait fait normalement.
(Traduit à partir de la version originale en anglais par Astrid Mélite)
Traduit à partir de la version originale en anglais dans l’Opinion)
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