Agriculture: la question du foncier

Agriculture: la question du foncier

 

Jean Viard, sociologue, évoque bouleversement démographique en cours dans le monde agricole  mais  évoque aussi la question centrale du foncier

La moitié de près de 450 000 agriculteurs français partira en retraite d’ici à dix ans. Il va falloir renouveler profondément ceux qui font l’alimentation française. C’est un bouleversement profond !

Oui, mais il faut le relativiser. Tous les agriculteurs ne sont pas des descendants de paysans sur plusieurs siècles. La France agricole a déjà connu, dans son histoire contemporaine, deux grandes vagues de renouvellement. Après la Première guerre mondiale, il y avait en France 300 000 jeunes veuves, sans compter toutes les jeunes filles qui avaient perdu leur promis. Les bras d’hommes manquaient aux champs. Certaines jeunes femmes sont devenues ouvrières agricoles, mais des hommes sont aussi venus d’ailleurs en Europe, de Belgique notamment, ou des ruraux non agricoles. Après la Seconde guerre mondiale, le nombre de fermes a fondu, passant de 3 millions en 1945 à 440 000 aujourd’hui. Il y a donc eu peu d’arrivants sur la période, la tendance étant plutôt que les fermes « se mangent » les unes les autres. Mais tout de même : beaucoup de main-d’œuvre saisonnière venait d’Espagne, d’Italie, notamment dans les régions de vignes. Et comme les mères des familles paysannes poussaient les filles à partir vers la ville pour accéder au « propre », au « moderne », c’est par les filles des travailleurs saisonniers – qui épousaient les héritiers locaux – que s’est fait le renouvellement. L’idée du groupe ancestral, homogène, est donc à nuancer, même s’il reste fondateur.

La ruralité, la France paysanne, restent-elles néanmoins la base de l’identité nationale ?

Le modèle politique de la France, dès 1870 après la commune de Paris, s’est appuyé sur un nombre important de paysans qui, alliés aux bourgeois des villes – la France des propriétaires –, devait soutenir la « République paysanne » face aux mouvements ouvriers des villes. Et depuis, les paysans français ont fait, chaque fois, ce que la République leur a demandé de faire. Sous la IIIe République, être propriétaire, chef de famille, conseiller municipal et soldat. Garantir donc la République, tenir les 36 000 communes, et mourir à la guerre, puisque des bataillons entiers de jeunes paysans ont peuplé les tranchées quand l’Allemagne envoyait ses ouvriers. La France a fait alors le choix d’un peuple agricole nombreux pour des raisons politiques, peu productif car sur des fermes trop petites. Et c’est ce qui explique la colonisation « par la terre », en particulier en Algérie : il fallait importer une alimentation produite en quantité insuffisante sur notre sol.

«Le modèle agricole qui aujourd’hui pose problème fut une victoire paysanne, au nom de l’indépendance alimentaire d’une nation marquée par les pénuries de la guerre et par la décolonisation»

En quoi cela explique-t-il aussi la suite de l’histoire agricole française ?

Il a fallu conquérir « l’indépendance alimentaire » après 1962, pendant gaulliste de « l’indépendance par le nucléaire ». D’où le développement de l’agriculture « chimique» et technique, remembrement, arasement des haies, concentration des fermes… Le modèle agricole qui aujourd’hui pose problème fut une victoire paysanne, au nom de l’indépendance alimentaire d’une nation marquée par les pénuries de la guerre et par la décolonisation. On ne doit pas oublier pourquoi les paysans se sont lancés dans ce modèle, ce qui explique qu’il soit difficile, pour un certain nombre d’agriculteurs âgés, de remettre en cause cet héritage, car c’est ce qu’ils ont appris de leurs pères qui, eux, étaient très fiers du travail accompli. A juste titre. Dans cette optique, les agriculteurs ont recherché depuis un demi-siècle à faire toujours plus moderne – avec les machines, le confort, la propreté, l’investissement technologique – pour ne plus être considérés comme des « ploucs ». Mais la grande « méditation collective » créée par la pandémie change les choses. Des centaines de milliers de gens vont changer de vie, de métier, déménager. Une sorte de Plouc Pride (Valerie Jousseaume, éditions de l’Aube) émerge. Nos attentes vont être de ne pas avoir souffert pour rien et que cela ne se renouvelle pas. La pression pour une lutte radicale contre le changement climatique s’accélère. Les sondages sont déjà très nets. On va se détacher de la modernité pour s’intéresser à l’esprit des lieux, à l’unicité des terroirs, à l’art de vivre mais dans un environnement numérique et hyper connecté. Le futur est coopération et limites, local et connexions.

Cela avait déjà commencé avec l’arrivée de nouvelles générations qui font un retour à la terre. Qui sont les « nouveaux agriculteurs» ?

Un quart des nouveaux arrivants ne sont pas des successeurs directs. Mais il y a parmi eux beaucoup d’héritiers au deuxième degré, des petits-fils d’agriculteurs… Ils ont fait des études commerciales ou numériques. Ils développent des exploitations en prenant la question dans le sens inverse de ce qui a été fait jusqu’ici : ils pensent « qu’est-ce que les consommateurs ont envie de manger ? » Penser à l’utilisateur en premier, c’est un changement radical de paradigme pour l’agriculture ! Et cela se matérialise dans la petite transformation, le circuit court, la vente directe, le marché paysan, l’Amap, le bio… Cela permet au client de remettre un visage sur l’aliment et bouscule tout le monde agricole. Les coopératives, démonétisées, ont dû recommencer à parler de qualité, à se réapproprier l’esprit des lieux qui relie le terroir à la nourriture. Cette démarche, du consommateur au champ et non du champ au consommateur, a beaucoup d’avenir.

C’est une agriculture qu’on met en avant, qui fait rêver, mais ce n’est pas toute l’agriculture !

Non ! Elle ne peut pas répondre à toutes les attentes. Il y a une agriculture de « matière première » (soja, blé, maïs, lait, patates…) qui doit être fournie en grande quantité et peu chère. C’est d’ailleurs l’histoire de la Politique agricole commune. La nourriture est la première garantie que le politique doit donner à la population. Et comme la France n’a pas fait le choix, comme le Japon ou la Grande-Bretagne, d’externaliser son agriculture, elle aura toujours besoin de grandes productions. Ce qui va changer c’est la place de l’élevage, de la viande. Les préoccupations environnementales poussent à sa réduction. On mangera sans doute plus de carottes-boeuf que de boeuf-carottes, comme dit Thierry Marx.

L’agriculture reste-t-elle un métier d’avenir ?

Elle est d’autant plus un métier d’avenir qu’une bataille considérable s’est engagée, avec un changement nécessaire de modèle. L’agriculture doit s’ouvrir au captage du carbone, au bois, à la biomasse, à l’énergie éolienne ou solaire, à la protection des paysages et des écosystèmes. La ville a beau être prise dans sa révolution « écolo-bobo-bicyclette», penser qu’elle peut subvenir seule à ses besoins avec l’agriculture urbaine, cela reste une illusion : Paris consomme, par exemple, 3 millions d’œufs par jour… On verra, en revanche, de nouvelles formes agricoles émerger. Je plaide pour la naissance de 40 000 fermes communales qui serviront les besoins locaux des écoles, comme à Mouans-Sartoux par exemple. Nous aurons sans doute, bientôt, 100 000 fermes bio. De nombreux agriculteurs cultivent déjà sans labours, dans le respect des sols. Ce sont ces projets nombreux qui doivent nous rassembler autour du soin au corps charnel de la patrie, composée de 53 % de terres arables et de 20 % de forêts. Le métier va de plus en plus devenir ultra-technique, qualitatif. Il va falloir investir beaucoup dans la recherche de nouveaux outils, dans la surveillance des champs depuis l’espace, la formation continue… Les savoirs ont changé. Avec l’arrivée de nouvelles générations, on apprend désormais dans les livres autant que dans les champs. Une libération des carcans de la transmission familiale. La chance de l’agriculture est dans le renouvellement des générations !

Vous récusez une certaine spécificité de l’agriculture…

Il faut arrêter de dire que c’est un métier de fils de paysan et plutôt le considérer comme un métier comme un autre. On peut l’apprendre, exactement comme les autres ; il faut développer des pépinières agricoles comme on développe des pépinières d’entreprises, avec des accompagnements de projets, comme pour les start-up. Cela reste, toutefois, un métier contraignant, où on travaille quand la nature a besoin, quel que soit le temps, ce qui est une différence fondamentale avec la société urbaine, société de l’intérieur qui ne sort que quand il faut beau.

Comment régler la question cruciale du foncier ?

La nouvelle agriculture se heurte à cette question. Les jeunes agriculteurs ne peuvent plus passer leur vie à racheter le sol, cela ne peut pas être un objectif. Ceux qui entrent ne doivent pas porter cette charge, bien trop lourde. C’est un énorme capital immobilisé et s’en libérer permettrait un travail plus qualitatif sur l’innovation et les marges. Il faut réfléchir à des coopératives foncières régionales qui reprendraient les terres en viager pour les louer. Peut-être avec des actionnaires ruraux ou résidents secondaires, le bail pouvant être très long et même transmissible. Il y a de nombreux pays en Europe, comme l’Allemagne, où les paysans ne sont pas propriétaires de la terre. La terre est aussi un enjeu symbolique : séparer le foncier du paysan, c’est aussi faciliter les arrivées, et rompre avec la logique selon laquelle si on n’est pas de la famille ou du milieu, on n’a pas sa place.

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