Mettre fin aux écoutes illégales

Mettre fin aux écoutes illégales

Le président du Conseil national des barreaux juge dans l’Opinion  le projet de loi « nécessaire mais pas suffisant »

 

Ancien bâtonnier de Marseille, Jérôme Gavaudan a pris la tête du Conseil national des barreaux (70 000 avocats) en janvier. Avec les autres représentants de la profession (Ordre de Paris, Conférence des bâtonniers), il a été consulté par le garde des Sceaux pour l’élaboration de son projet de loi.

Plusieurs de vos confrères ont vivement critiqué le jugement dans l’affaire des écoutes et regretté qu’il semble valider les «  dérives  » du Parquet national financier. Quelle est votre analyse ?

Le raisonnement du tribunal correctionnel se résume ainsi : il y a dans des écoutes des signes de la volonté d’un avocat de participer à la commission d’une infraction et donc on peut a priori le placer sur écoutes. Ce qui est gênant parce que cela revient à dire : on écoute et on se fait son opinion, et donc le tri, après. C’est après avoir écouté qu’on dit si on avait ou non le droit de le faire. C’est un raisonnement à l’envers que les avocats ne peuvent accepter car ce n’est pas un mécanisme sain dans une grande démocratie. Les avocats sont, et doivent rester, des confidents en toutes matières et être protégés comme tels. La profession est unanime pour dénoncer des dérives anormales. Cela étant, il semblerait que d’autres éléments fondent ce jugement qu’il ne m’appartient pas de commenter.

Sur cette question des enquêtes et du secret, comment jugez-vous le projet de loi d’Eric Dupond-Moretti ?

Ce texte vient recadrer un certain nombre de pratiques et encadrer de nouvelles techniques d’enquête. Certes, on a assisté au fil des ans à une multiplication des infractions financières et fiscales et à une plus grande complexité des mécanismes de fraude. Mais ce n’est pas parce que les choses deviennent complexes que les grands principes doivent être bafoués. On a abusé des enquêtes préliminaires qui durent trop longtemps, aux mains des seuls magistrats du parquet. On a bafoué le droit qui, dans une grande démocratie doit être absolu, de parler à son avocat sans avoir le risque d’être écouté.

Le texte répond-il à ces attentes ? Il dit par exemple que perquisitionner un avocat ou le placer sur écoutes ne sera possible que s’il existe des « raisons plausibles » que cet avocat participe à la commission d’une infraction.

Le texte définit mieux les éléments de preuve que les magistrats peuvent utiliser pour définir ces « raisons plausibles ». On va au cours du débat parlementaire pouvoir même peut-être aller plus loin et faire intervenir davantage le juge des libertés et de la détention (JLD). C’est ce que la profession demande. De plus, limiter l’enquête préliminaire à deux ans est nécessaire. Ce projet va sécuriser l’enquête et les droits de la défense. Il ne sera pas un projet « pour rien » même si notre profession souhaite aller plus loin en redéfinissant le secret professionnel, en définissant la consultation juridique et en corrigeant la jurisprudence de la Cour de cassation qui, en la matière, distingue les activités de conseil de la défense. Ce texte améliore les droits de la défense mais reste – et nous le regrettons – essentiellement cantonné à la matière pénale. Il représente une avancée démocratique, encore insuffisante à nos yeux.

Le projet de loi ne risque-t-il pas d’apparaître comme une volonté de « protéger les politiques » et d’entraver le travail des magistrats ? Voire comme une « vengeance » de l’actuel garde des Sceaux, lui-même surveillé dans l’affaire des écoutes quand il était avocat ?

Sur ce dernier point, je ne pense pas que le garde des Sceaux ait élaboré une loi de circonstance liée à l’actualité. Ce sont des idées qu’il défend depuis longtemps. Ce projet n’est pas une réponse politique ni idéologique mais un texte en réalité assez technique qui ne va pas entraîner de bouleversement majeur. On n’est pas en train de protéger les bandits de grand chemin ou la grande délinquance financière ! Des principes sont réaffirmés, des dérives corrigées. Quant aux magistrats, je ne pense pas qu’ils puissent vivre cela comme une attaque. Même si formellement les écoutes ne sont pas illégales, est-ce déontologique d’écouter tout le monde pour parvenir à ses fins ? N’est-ce pas scandaleux de laisser traîner des écoutes, tels des filets dérivants, visant des avocats qui, par définition, recueillent les confessions de leurs clients et des informations sur des turpitudes éventuelles ? Dans leur grande majorité, les magistrats sont indépendants et font bien leur travail. On ne peut pas parler de « justice politique ». Tout cela est finalement davantage affaire de déontologie et de responsabilité que de Code de procédure pénale. C’est à ce titre que le Parquet national financier doit être exemplaire.

Vous dites vouloir faire un mandat « politique » à la tête du CNB. C’est-à-dire ?

Nous interpellerons les candidats à la présidentielle sur la place de la justice, les moyens qu’on lui donne, l’équilibre entre libertés individuelles et impératif sécuritaire, entre libertés fondamentales et état d’urgence (sanitaire, terroriste, etc.). Lors du premier confinement, l’exécutif a quand même décrété par ordonnance la prolongation de toutes les détentions provisoires. On vous encabane deux mois de plus sans passer devant un juge ! Emmanuel Macron en 2017 allait bien aux avocats qui ont été nombreux à voter pour lui. J’entends beaucoup de déçus car l’ADN des avocats est d’être très attentifs aux droits

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