États-Unis : une nouvelle stratégie environnementale
L’exécutif américain, qui entend annoncer en avril un nouvel objectif national de réduction des émissions, met à contribution de nombreuses agences gouvernementales.(Article du Wall Street Journal)
L’administration Biden met les bouchées doubles pour finaliser d’ici le mois prochain une stratégie globale de lutte contre le changement climatique, en mobilisant diverses agences gouvernementales afin de concevoir un projet qui pourrait refaçonner l’économie américaine et bouleverser des secteurs de premier plan.
Joe Biden et ses hauts conseillers envisagent d’associer aux mesures de l’exécutif – durcissement des normes en matière de pollution, investissements ciblés ou modification des marchés publics à l’échelle fédérale – des initiatives du Congrès dans le but d’accélérer la transition vers les énergies à bas carbone. Cette offensive pourrait mettre en difficulté les entreprises pétrolières et gazières tout en donnant un coup de fouet aux spécialistes des énergies renouvelables, et contraindre pour la première fois le secteur financier à se plier à de stricts critères gouvernementaux en matière de politique climatique.
Les fonctionnaires de l’administration Biden présentent la stratégie comme un pilier de leur projet de relance de l’économie après la pandémie de coronavirus.
« Il y a vraiment beaucoup de choses que nous pouvons faire aujourd’hui concernant le climat, et qui nous permettront de véritablement rebondir après la Covid, a affirmé lors d’un entretien Gina McCarthy, la conseillère nationale de la Maison Blanche pour le climat. Si l’ensemble du gouvernement collabore, nous pourrons agir sans avoir à sacrifier quoi que ce soit. »
Les milieux d’affaires, y compris ceux qui se sont montrés plutôt favorables aux initiatives gouvernementales en matière climatique, craignent cependant une approche dirigiste préjudiciable à de vastes pans de l’économie. A l’instar de la Chambre de commerce américaine et de l’American Petroleum Institute, beaucoup soutiennent une législation pénalisant l’ensemble des émissions de carbone, par exemple, mais rejettent l’idée de mesures gouvernementales ciblant certains secteurs.
« Les entreprises ont besoin d’un instrument législatif, déclare Christopher Guith, qui suit les politiques publiques pour le compte d’une division de la Chambre du commerce en charge de l’énergie. Les réglementations qui changent radicalement d’une administration à l’autre créent trop d’incertitudes et paralysent toute planification à long terme. »
Selon les sources, les groupes reçus à la Maison Blanche ont présenté des modélisations d’après lesquelles un objectif de réduction des émissions de 50 % d’ici à 2030 par rapport au niveau de 2005 était réalisable s’il tenait compte des mesures déjà prises par les municipalités, les Etats, les entreprises et les gouvernements locaux
L’Accord de Paris sur le climat, dont les Etats-Unis s’étaient retirés sous la présidence Trump et que M. Biden a décidé de réintégrer dès les premiers jours de son mandat, exhorte les pays signataires à renforcer leurs engagements en termes de réduction des émissions tous les cinq ans. M. Biden et ses hauts conseillers se voient pressés par d’autres pays de fixer des objectifs ambitieux témoignant de la détermination des Etats-Unis à participer aux efforts de réduction des émissions qui, selon la plupart des scientifiques, sont la principale cause de l’augmentation des températures à travers le monde.
Les responsables de l’administration Biden ont annoncé leur intention de dévoiler, lors d’un sommet sur le climat prévu à Washington en avril, un nouvel objectif national de réduction des émissions pour les neuf prochaines années.
Durant des réunions privées qui ont eu lieu ces dernières semaines, selon des sources proches du dossier, des groupes extérieurs de défense de l’environnement et des analystes des données climatiques ont encouragé la Maison Blanche à doubler quasiment l’objectif de réduction des émissions qui avait été fixé en 2014 par le président Obama. A l’époque, celui-ci s’était engagé à ce que les Etats-Unis réduisent leurs émissions de 26 à 28 % d’ici à 2025 par rapport au niveau de 2005.
Selon les sources, les groupes reçus à la Maison Blanche ont présenté des modélisations d’après lesquelles un objectif de réduction des émissions de 50 % d’ici à 2030 par rapport au niveau de 2005 était réalisable s’il tenait compte des mesures déjà prises par les municipalités, les Etats, les entreprises et les gouvernements locaux. L’an dernier, le total des émissions américaines s’est inscrit en baisse de 21 % environ par rapport à 2005, en partie sous l’effet de la mise à l’arrêt de l’économie liée à la pandémie.
Mme McCarthy n’a pas souhaité donner d’indication quant à l’objectif à venir. « Il ne s’agira pas de ce que je préfère ou de ce que je souhaiterais… Nous laisserons les données guider les résultats », a-t-elle affirmé, en référence aux modélisations climatiques et à d’autres analyses sur lesquelles s’appuieront les responsables de l’administration pour décider des réductions possibles. Elle s’est également entretenue avec des entreprises de services collectifs et des constructeurs automobiles avant que la Maison Blanche ne décide des prochaines étapes.
A l’approche du sommet sur le climat prévu le 22 avril, « Jour de la Terre », la Maison Blanche a lancé une analyse transversale visant à déterminer un objectif qui soit à la fois ambitieux et réalisable, selon des fonctionnaires de l’administration.
Depuis son investiture en janvier, M. Biden a suspendu les nouvelles concessions pétrolières et gazières sur les terres fédérales, sa secrétaire à l’Energie a réactivé un programme de prêts de 40 milliards de dollars dédié aux énergies propres et l’administration a commencé à faire pression sur le Congrès en faveur de dépenses d’investissement se chiffrant en milliers de milliards de dollars.
M. Biden a par ailleurs pris rapidement des mesures pour mobiliser l’ensemble de l’exécutif, faisant appel à des agences fédérales qui ne jouaient jusqu’alors aucun rôle dans les politiques climatiques – comme les départements du Trésor et de l’Agriculture. Le nouveau président de la SEC (la commission américaine des opérations de Bourse) choisi par Joe Biden s’est engagé à rendre obligatoire des déclarations financières relatives aux risques climatiques, ce qui augmenterait probablement les coûts de financement de certains projets dans les énergies fossiles. En outre, le nouveau programme de la Représentante américaine au Commerce prévoit entre autres de taxer les importations en fonction de leurs émissions de dioxyde de carbone.
Un grand nombre des mesures prises jusqu’à présent sont de nature préliminaire, ou relatives à des processus. Cependant, l’administration n’a pas fait mystère de son ambition de frapper fort, recrutant des champions de la cause environnementale pour conseiller M. Biden et nommant de hauts responsables dédiés au changement climatique dans des agences gouvernementales clés.
L’ancien secrétaire d’Etat John Kerry, qui avait contribué aux négociations sur l’Accord de Paris, dirigera les discussions relatives au climat en tant que Représentant spécial de Joe Biden pour le climat. Il se rendra à Londres, Paris et Bruxelles cette semaine afin d’évoquer les enjeux climatiques mondiaux avec des responsables européens.
La politique climatique nationale reviendra à Mme McCarthy qui, en tant qu’administratrice de l’Agence pour la protection de l’environnement sous la présidence Obama, avait présidé à l’établissement de certaines des premières limites d’émissions de gaz à effet de serre aux Etats-Unis.
M. Biden a mis en place un Groupe de travail national sur le climat, présidé par Mme McCarthy, en vue de produire des idées dans la lutte contre le réchauffement climatique à tous les niveaux du gouvernement. Mme McCarthy a indiqué que ce Groupe de travail s’était déjà étoffé, certaines agences (dont le département de l’Education, qui envisage d’intégrer le changement climatique dans les programmes scolaires) ayant demandé à le rejoindre.
La volonté de parvenir à un objectif dès le mois d’avril est ambitieuse. Selon des sources impliquées dans le processus, l’effort logistique requiert une coordination à tous les échelons administratifs, une analyse des données et une planification des politiques. L’administration Obama avait passé neuf mois environ à établir son objectif climatique en 2014, selon des sources qui y avaient pris part.
Dans le même temps, les groupes de défense de l’environnement, des scientifiques et des figures de premier plan comme l’ancien maire de New York, Michael Bloomberg, attendaient ce moment depuis des années. Ces derniers mois, plusieurs documents d’orientation politique faisant part de recommandations ont été publiés, et des écologistes se sont associés pour calculer l’impact global des politiques locales – et des nouvelles politiques fédérales potentielles – en termes d’émissions, dans l’espoir que leur analyse puisse aider un gouvernement démocrate à fixer un objectif climatique ambitieux.
En 2019, un rapport de défenseurs du climat indiquait que les entreprises, villes et Etats américains pourraient à eux seuls réduire les émissions des Etats-Unis de 37 % par rapport au niveau de 2005 d’ici à 2030. Ce chiffre pourrait être porté à 49 % si de nouvelles mesures fédérales étaient prises en faveur d’une baisse rapide des émissions du secteur de l’électricité et d’un large recours aux véhicules électriques, précisait le rapport.
« Parvenir à 50 % nécessitera un effort considérable et général de la part de l’ensemble de l’économie fédérale, ainsi que des municipalités, des Etats et des gouvernements locaux, soulignait Nathan Hultman, directeur du Center for Global Sustainability à l’Université du Maryland et coauteur du rapport. Nous pouvons y arriver, les tendances observées au cours des dernières années nous le montrent. Mais cela sera difficile. »
Dans ce contexte, l’administration envisage une vaste offensive secteur par secteur, examinant les tendances et projections actuelles pour déterminer le niveau possible des réductions d’émissions dans de larges pans de l’économie comme le transport, l’industrie lourde et les services aux collectivités.
Sur le plan politique, les obstacles ne manquent pas. Le Président, qui souhaite une coopération du Congrès, fera face au scepticisme des républicains, ainsi qu’aux craintes de dommages économiques et de destructions d’emplois.
Le président entend dévoiler dans les prochaines semaines un dispositif législatif qui pourrait atteindre plusieurs milliers de milliards de dollars, visant à améliorer les infrastructures nationales et lutter contre le changement climatique
L’administration est déjà critiquée par les républicains, et même par certains syndicats alliés des démocrates, pour avoir suspendu les nouvelles concessions pétrolières sur les terres fédérales et révoqué le permis de l’oléoduc Keystone XL dès l’entrée en fonction de Joe Biden. Le promoteur de l’oléoduc a immédiatement arrêté le projet et licencié 1 000 ouvriers.
« Nous devons réfléchir à la manière de préserver les emplois existants – des emplois bien rémunérés, qui font vivre des familles entières – pour qu’ils ne disparaissent pas tous d’un seul coup », a déclaré la sénatrice républicaine de l’Alaska Lisa Murkowski vendredi, lors d’une conférence sur l’énergie, en référence aux premiers décrets de Joe Biden sur le climat.
Mme McCarthy a reconnu la difficulté de trouver de nouveaux emplois pour les ouvriers licenciés. L’administration annonce la création d’une nouvelle agence pour l’emploi au sein du département de l’Energie et l’élaboration d’une stratégie globale de soutien aux travailleurs dans le pétrole, le gaz naturel et le charbon.
« Nous avons conscience du défi à relever, mais nous ne pensons pas qu’il est au-dessus de nos capacités », a déclaré Mme McCarthy, ajoutant espérer une collaboration avec le secteur des énergies fossiles.
Le président entend dévoiler dans les prochaines semaines un dispositif législatif qui pourrait atteindre plusieurs milliers de milliards de dollars, visant à améliorer les infrastructures nationales et lutter contre le changement climatique.
Les défenseurs du climat estiment que ce type d’investissement massif est probablement la manière la plus rapide de promouvoir les objectifs du Président, en faisant appel aux technologies de capture du carbone, en encourageant l’utilisation des véhicules électriques et en développant les sources d’énergies propres, ainsi que les systèmes de transmission permettant leur connexion à grande échelle.
« Le meilleur signal qu’ils puissent envoyer pour montrer que les Etats-Unis sont de retour est de faire adopter par le Congrès un projet de loi prévoyant l’investissement de plusieurs milliers de milliards de dollars dans les infrastructures, affirme Collin O’Mara, président de la National Wildlife Federation. Ce serait la preuve irréfutable d’un engagement inédit à l’échelle mondiale. »
(Traduit à partir de la version originale en anglais par Anne Montanaro)
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