La justice négociée en cause

La justice négociée en cause

 

L’avocat Arthur Dethomas  estime que la justice négociée et mise en cause après le jugement de l’affaire Bolloré ( dans l‘opinion)

En refusant, le 26 février dernier, d’homologuer l’accord conclu entre les dirigeants du Groupe Bolloré et le parquet national financier (PNF), les magistrats du tribunal correctionnel de Paris ont très largement anéanti les efforts du législateur de développer la justice pénale négociée en France. Encouragé depuis deux décennies, le développement de la justice négociée repose sur les aveux de la personne mise en cause et sa coopération. Le principe est simple : le parquet propose une peine au prévenu en l’échange de sa reconnaissance de culpabilité. Si les deux parties s’accordent sur la peine, l’accord n’a – en théorie – plus qu’à être homologué par le tribunal pour éviter la tenue d’un procès.

Dans cette affaire, deux types d’accords avaient été conclus par le PNF : un premier, une Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), avec la société Bolloré SE et des accords individuels, des Comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), avec les dirigeants du Groupe Bolloré (dont Vincent Bolloré). Le tribunal correctionnel de Paris n’avait plus qu’à homologuer ces accords ; il a préféré désavouer le parquet national financier.

Alors même que les magistrats du PNF s’étaient déplacés à cette audience pour souligner le succès du consensualisme dans la procédure, la présidente du tribunal a surpris tout le monde en refusant de valider les accords conclus avec les dirigeants personnes physiques du Groupe Bolloré, estimant que les peines convenues étaient inadaptées. Et, par conséquent, qu’il était nécessaire qu’un procès se tienne. Pour les dirigeants du groupe Bolloré, c’est donc un retour à la case départ. La décision de refus d’homologation n’étant pas susceptible de recours, ils seront vraisemblablement renvoyés devant le tribunal pour y être jugés.

Que reste-il des droits de la défense de Vincent Bolloré après qu’il a, lors d’une audience publique amplement relayée dans les médias, répondu par l’affirmative au tribunal qui lui demandait s’il reconnaissait sa culpabilité ?

Au-delà de toute considération propre aux faits du dossier et du cas personnel de Vincent Bolloré, cette décision est un échec de plus pour un PNF déjà passablement éprouvé. Pire, il préjudicie grandement au respect des droits de la défense dont les dirigeants doivent pouvoir bénéficier pour la suite de la procédure. Que reste-il des droits de la défense de Vincent Bolloré après qu’il a, lors d’une audience publique amplement relayée dans les médias, répondu par l’affirmative au tribunal qui lui demandait s’il reconnaissait sa culpabilité ? Quelle valeur faut-il accorder à des aveux donnés publiquement en réponse à une offre de sanction finalement révoquée ?

 

Les options dans la stratégie de défense des dirigeants du Groupe Bolloré pour le procès à venir se sont, de fait, fortement réduites et un choix qui consisterait pour le dirigeant à nier sa responsabilité pénale est plus difficile à envisager. La présomption d’innocence, dont chacun doit pourtant pouvoir bénéficier jusqu’à l’issue de la procédure, apparaît n’être plus qu’un concept juridique auquel on est prié de croire. En attendant de connaître l’issue de ce dossier, en raison de l’atteinte aux droits de la défense qui en résulte, cette décision va nécessairement mettre un coup d’arrêt au développement du consensualisme dans la procédure pénale. Dans ces conditions, quel dirigeant pourrait raisonnablement envisager d’engager une discussion avec le PNF ?

Il est évident que le tribunal doit rester souverain pour décider d’homologuer ou non un accord conclu entre un prévenu et le parquet, mais pour que la justice pénale négociée puisse réellement prospérer, en confiance, le parquet devra impérativement s’assurer de proposer des accords dont l’homologation semble acquise. A défaut, il n’y aura jamais de place pour une vraie justice pénale négociée.

Arthur Dethomas est avocat aux barreaux de Paris et de New York. Il n’intervient pas dans le dossier Bolloré

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