Contre les bandes violentes : le retour du service militaire ?
Il est clair que le phénomène des bandes violentes est surtout alimenté par le désœuvrement. Nombre de jeunes de plus en plus nombreux de moins de 30 ans sans formation, sans qualification et sans projet ne sont socialisés qu’à travers le phénomène de bandes. Des sortes de hordes sauvages, micro société avec ses repères, ses lois, sa hiérarchie et sa violence comme mode opérationnel. Assez souvent avec des liens consanguins avec la drogue mais pas toujours. Le phénomène s’est largement amplifié depuis la suppression du service militaire qui permettait de couper le jeune de son enracinement sauvageon et de son ghetto culturel. Or les pouvoirs publics ont décidé de supprimer ce service militaire qui permettait de structurer seulement certains jeunes complètement perdus en rupture avec les valeurs républicaines et généralement sociétales. Il est été remplacé par un micro service national volontaire très marginal qui ne correspond à pas grand-chose.
Le sociologue Thomas Sauvadet décrit ce phénomène de bandes dans le JDD. Auteur du Capital guerrier – Concurrence et solidarité entre jeunes de cités (Ed. Armand Colin), cet enseignant-chercheur à l’université Paris-Est Créteil estime que 10% des jeunes des quartiers évoluent dans un groupe violent. Selon lui, « l’élément le plus notable, ce n’est pas le rajeunissement, mais le vieillissement de la violence des bandes ».
En quoi le phénomène des bandes a-t-il évolué?
Au Moyen Âge, les bandes de « jeunes à marier » s’affrontaient déjà. Après la Seconde Guerre mondiale, avec l’avènement de la société de consommation, les « blousons noirs » qui refusaient l’usine se bagarraient en attendant le couperet du service militaire. Et dans les années 1980 sont apparues les bandes de « lascars » ou de « cailleras ». Ce ne sont pas des termes péjoratifs, eux-mêmes se définissaient ainsi. Selon mes enquêtes, environ 10% des jeunes de sexe masculin de moins de 30 ans habitant dans un quartier « politique de la ville » (QPV) appartiennent à une bande. C’est une minorité de la jeunesse urbaine : 100 à 150 individus par zone, avec des liens qui se nouent vers 7-10 ans. Avant, ils en partaient à leur majorité pour faire leur service. Aujourd’hui, faute de travail et de logement, ils restent chez leurs parents et se socialisent au travers de la bande. L’élément le plus notable, ce n’est pas le rajeunissement, mais le vieillissement de la violence des bandes.
C’est-à-dire?
Avec la montée en puissance du trafic de stupéfiants, et notamment du cannabis, des « vieux jeunes » deviennent des têtes de réseau qui influencent ceux d’en dessous : les 25-30 ans influent sur les 20-25 ans, les 15-20 ans sur les ados, les 15-13 ans sur les enfants… Ils s’imposent par rapport aux adultes relais, travailleurs sociaux, gardiens. Une cascade de groupes se crée, scellés par une culture de bandes autour de savoir-être et de savoir-faire communs (codes gestuels, argot, violence…), travaillés par les plus âgés. Cette transmission participe au rajeunissement évoqué. Les ados voient des anciens opérer avec professionnalisme, arborer cagoules et gants, régler leurs comptes, gagner de l’argent… Ils veulent en être. Comme des modèles qu’on admire ou déteste, ils les observent, cherchent à les imiter, tout en subissant leur loi et leur maltraitance.
Cette culture des bandes joue-t-elle dans le passage à l’acte?
Cette montée en puissance culturelle est l’une des grandes nouveautés. Aux Etats-Unis, la culture des gangs est devenue mainstream. N’importe quel jeune, quel que soit son milieu social, va vouloir acheter tel type de jean, écouter tel rappeur du ghetto, adopter tels codes gestuels, parce que c’est « street credibility ». Aujourd’hui, poussé par l’industrie du show-business, il se produit le même phénomène en France avec des codes vestimentaires et argotiques qui se diffusent très vite au sein de la société. Dans un lycée de Saint-Germain-des-Prés ou dans un village d’Auvergne, vous trouverez des jeunes qui, à travers leur look, la musique qu’ils écoutent, les jeux vidéo auxquels ils jouent, se réfèrent à cette culture des bandes. Elle est devenue tendance. Les jeunes des bandes sont devenus des influenceurs, ils lancent des chanteurs, des modes, des expressions… Cette culture d’appartenance peut aussi nourrir des pratiques délinquantes, faire que vous vous retrouvez au mauvais endroit au mauvais moment parce que sur une photo, dans un message, vous avez été identifié comme étant proche de telle ou telle bande. Sans en être un « vrai » membre.
Les réseaux sociaux servent-ils de caisse de résonance?
Ils permettent de multiplier les embrouilles virtuelles. Les jeunes étant connectés en permanence grâce à leur smartphone, ils voient tout de suite qui a humilié qui, qui a posté quoi. Non seulement on s’informe sur untel ou untel. Mais on mobilise et organise aussi plus facilement les rixes.
Qu’est-ce qui les soude?
Le sentiment de puissance. C’est ce qui différencie une bande d’un groupe d’amis. Ces jeunes cumulent des difficultés scolaires puis professionnelles, avec des familles souvent dysfonctionnelles. Se regrouper, intimider ensemble, revendiquer la propriété d’un territoire leur donne l’impression de devenir des gens importants. C’est une sorte de shoot narcissique. La religion peut jouer un rôle mais elle se conjugue difficilement avec leur mode de vie constitué de violence et de drogues… Elle justifie parfois certains passages à l’acte, lorsque celui qu’on vole ou tape est un mécréant. Elle joue alors sur l’absence de culpabilité.
Les bandes restent-elles localisées à certains types de territoires?
Elles sont surtout concentrées dans les QPV, les plus dures évoluant dans les grandes métropoles. Les opérations de rénovation urbaine et l’augmentation des prix de l’immobilier ont repoussé de nombreuses familles pauvres en grande banlieue. Or les bandes recrutent beaucoup parmi ces primo-arrivants. Cette culture devenue mainstream influence aussi des jeunes de villes moyennes, voire de villages, des territoires qui cumulent également les difficultés mais dont on parle moins.
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