Vaccin : la solution Novavax

Vaccin : la solution Novavax

S’il est autorisé, le dispositif du laboratoire jusque-là moribond pourrait devenir une arme redoutable contre la pandémie

 

Novavax est sur le point de voir son vaccin contre la Covid-19 autorisé aux Etats-Unis. Pour les scientifiques, s’il obtient le feu vert des autorités, le dispositif pourrait devenir une arme redoutable contre la pandémie et afficher des avantages non négligeables par rapport à ses concurrents.

En janvier 2020, des salariés de Novavax se sont réunis dans un bar du Maryland pour essayer de savoir comment sauver leur carrière. Depuis des décennies, la petite société de biotechnologie pour laquelle ils travaillaient essayait, sans succès, de développer un vaccin. Elle possédait tout juste assez de trésorerie pour tenir six mois et son action valait moins de 4 dollars, ce qui la valorisait à 127 millions de dollars.

Aujourd’hui, après 33 ans d’existence, Novavax est sur le point de voir son vaccin contre la Covid-19 autorisé. Pour les scientifiques, s’il obtient le feu vert des autorités, le dispositif pourrait devenir une arme redoutable contre la pandémie et afficher des avantages non négligeables par rapport à ses concurrents. En effet, des données préliminaires indiquent le vaccin Novavax pourrait être le premier à empêcher la propagation asymptomatique du coronavirus et fournirait une protection plus longue.

Si le schéma à deux injections est validé, restera à fabriquer et distribuer le vaccin en grandes quantités, un défi car, à court d’argent, la biotech a vendu une partie de son outil de production en 2019.

Les investisseurs, qui avaient alors laissé l’entreprise pour morte, misent désormais sur le fait que les régulateurs approuveront le vaccin de Novavax dans les prochains mois. Résultat : l’action a bondi de 106 % depuis le début de l’année, et vaut désormais 229 dollars. Fin janvier, Novavax a publié des données préliminaires indiquant que son vaccin était efficace pour protéger contre la Covid-19 (même s’il l’est un peu moins contre le variant sud-africain, qui semble toutefois poser problème à d’autres vaccins). Les résultats des essais cliniques aux Etats-Unis pourraient être publiés fin mars.

D’ici là, la valorisation de Novavax a atteint 15,4 milliards de dollars, loin devant des entreprises qui affichent pourtant des milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel, dont le géant des médicaments génériques Teva Pharmaceutical Industries.

L’autorisation de mise sur le marché serait une nouvelle preuve des bouleversements que la pandémie a provoqués sur le marché pharmaceutique. Les vaccins les plus perfectionnés ont été développés par des petits nouveaux qui se sont appuyés sur des technologies peu usitées pour imaginer et fabriquer des dispositifs beaucoup plus vite qu’avec les méthodes traditionnelles. Alors que Merck, géant du secteur, a récemment renoncé à proposer un vaccin contre la Covid-19 après des résultats décevants, des novices ambitieux (dont Moderna et BioNTech) ont mis au point, testé et produit des vaccins à la vitesse de la lumière. Et ce sont leurs dispositifs qui sont actuellement administrés à travers le monde.

Le vaccin de Novavax « semble aussi efficace que les autres vaccins, avec une durée de protection potentiellement supérieure », résume John Moore, immunologiste au Weill Cornell Medical College de New York. D’abord sceptique vis-à-vis de l’entreprise et de son produit, le docteur Moore explique que les données préliminaires l’ont convaincu au point qu’il s’est porté volonté volontaire pour les tests et a acheté des actions Novavax, qu’il a revendues depuis.

Le succès de Novavax pourrait changer la donne. Le lancement des vaccins de Pfizer/BioNTechModerna et AstraZeneca s’est révélé plus lent que prévu et les laboratoires peinent à satisfaire une demande colossale. Novavax affirme, lui, pouvoir produire plusieurs milliards de doses sur l’année à venir si la production est lancée en avril, soit autant (voire plus) que ces concurrents. La semaine dernière, Novavax a annoncé avoir conclu un accord avec Gavi, une organisation internationale basée à Genève, pour distribuer des doses à travers le monde.

« J’admire leur ténacité, leur persévérance, leur volonté de ne jamais abandonner, déclare Roger Pomerantz spécialiste des maladies infectieuses et des vaccins qui dirige aujourd’hui la biotech ContraFect après avoir travaillé chez Merck, qui a refusé de travailler avec Novavax il y a quelques années. Mais à la fin, il faut produire un vaccin. »

Contrairement aux dispositifs Pfizer et Moderna, les deux seuls autorisés aux Etats-Unis, le vaccin Novavax n’a pas besoin d’être conservé à des températures en dessous de zéro, un point fort pour les hôpitaux, cliniques et pharmacies qui n’ont pas de réfrigérateurs.

Si Novavax a utilisé des méthodes qui lui sont propres, la démarche est la même que pour les vaccins traditionnels (notamment ceux contre le zona et l’hépatite B), un élément qui a séduit les scientifiques.

Les vaccins Pfizer et Moderna reposent sur une technologie innovante qui utilise des molécules baptisées ARN messager pour apprendre au corps à créer la protéine S du coronavirus, ce qui provoque une réponse immunitaire.

Celui d’AstraZeneca utilise une autre technologie (qui s’appuie sur un virus inoffensif du chimpanzé entraînant également une réponse immunitaire) ; il est autorisé en Europe et au Royaume-Uni.

L’histoire compliquée de Novavax éclipse ses efforts. Il y a seize ans, le produit phare du laboratoire était une crème contre les bouffées de chaleur des femmes préménopausées qui ne s’est jamais vendue. En faillite, le groupe a fait appel à Gale Smith, aujourd’hui âgé de 71 ans, biologiste moléculaire qui dirigeait une petite société de mise au point de vaccins.

Novavax a choisi une troisième option : au lieu d’expliquer au corps comment fabriquer la protéine S, le laboratoire en injecte directement une version synthétique légèrement modifiée. Pour ce faire, les scientifiques du groupe ont utilisé le baculovirus, un virus propre aux arthropodes, dans lequel ils ont inséré des instructions génétiques pour produire la protéine S, puis infecté des cellules de légionnaire d’automne (un insecte aussi appelé noctuelle américaine du maïs).

Ces cellules ont été cultivées dans des bioréacteurs contenant 6 000 litres de liquide (des cuves qui ressemblent étrangement à des fûts de brasserie). C’est là que la protéine a été produite, avant d’être isolée, purifiée et injectée sous forme de vaccin, accompagnée d’un autre élément, appelé adjuvant, qui démultiplie la réponse immunitaire et rend le vaccin plus efficace.

L’histoire compliquée de Novavax éclipse ses efforts. Il y a seize ans, le produit phare du laboratoire était une crème contre les bouffées de chaleur des femmes préménopausées qui ne s’est jamais vendue. En faillite, le groupe a fait appel à Gale Smith, aujourd’hui âgé de 71 ans, biologiste moléculaire qui dirigeait une petite société de mise au point de vaccins.

Etudiant, le docteur Smith avait participé à l’élaboration de la méthode utilisant les baculovirus pour transporter l’ADN d’un agent infectieux vers des cellules d’insectes pour créer des vaccins, une méthode aujourd’hui utilisée pour le vaccin contre la grippe et le papillomavirus.

Pendant une décennie, le laboratoire l’a utilisée pour développer des vaccins contre le VIH, le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), la grippe porcine, Ebola ou le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS). A chaque fois, Novavax a obtenu des premiers résultats prometteurs et obtenu le soutien d’entités publiques et à but non lucratif, dont la fondation Gates.

Mais les vaccins ont échoué lors des phases suivantes ou les épidémies ont reflué, rendant un traitement moins nécessaire.

Les dirigeants ont tout fait pour remonter le moral de leurs équipes. Stanley Erck, vétéran du Vietnam âgé de 72 ans et directeur général, invitait souvent ses collaborateurs à une soirée bowling, pizza et bières le vendredi. Gregory Glenn, pédiatre responsable de la recherche et du développement, essayait lui aussi de mobiliser les troupes.

« Où trouverez-vous une mission aussi noble, aussi intéressante et aussi rémunératrice ? », a-t-il un jour demandé aux chercheurs.

Mais des dirigeants et des salariés ont fini par partir, minant le moral du docteur Glenn. Il y a quelques années, en rentrant chez lui, il s’est mis à pleurer, raconte-t-il. « J’avais le sentiment de les laisser tomber et d’avoir péché par excès d’enthousiasme », soupire-t-il.

En 2014, Novavax a racheté une société suédoise qui produit un adjuvant dérivé de l’écorce d’un arbre chilien qui renforce la réponse immunitaire générée par un vaccin.

Avec cet adjuvant, Novavax a commencé de travailler sur des vaccins contre le virus respiratoire syncytial (VRS), qui cause chaque année l’hospitalisation d’environ 58 000 enfants aux Etats-Unis et peut s’avérer mortel. En 2015, le cours de l’action a doublé quand Stanley Erck a annoncé que le vaccin pourrait devenir « le plus vendu de l’histoire des vaccins en termes de chiffre d’affaires ».

« Je suis patron d’une biotech, je suis optimiste, je le reconnais », indique-t-il.

L’année suivante, le vaccin a échoué lors de la phase 3. En novembre 2016, le lendemain de l’élection présidentielle, un tiers des salariés ont été accueillis par un message annonçant leur licenciement en raison des déboires du vaccin contre le VRS.

« Ça a été une énorme surprise, un jour triste et lugubre, les gens étaient accablés », raconte Kwanho Roh, biologiste cellulaire qui a échappé au licenciement mais a perdu un tiers de ses équipes avant qu’il ne décide de quitter la société.

En 2019, quand un nouvel essai de vaccin contre le VRS a échoué, Novavax est officiellement devenu le petit laboratoire qui n’arrive à rien. Quand Stanley Erck prenait la parole lors de conférences, ils n’étaient parfois que trois à venir l’écouter. En mai de cette même année, au moment où l’action ne valait plus que 36 cents et risquait d’être exclue du Nasdaq, Novavax a lancé un regroupement d’actions à raison de 20 actions pour une. Le titre a fini l’année en baisse de 39 % et a été sorti de l’indice biotechnologique du Nasdaq. Mais pour le docteur Smith, aucun doute : son équipe progressait sur son vaccin.

Début 2020, Novavax réalisait les essais cliniques d’un nouveau vaccin, cette fois-ci contre la grippe. Le laboratoire étudiait également les possibilités d’amélioration de son vaccin contre le VRS, qui semblait efficace, et s’était d’ailleurs rapproché des régulateurs et de partenaires commerciaux potentiels.

Les premières données du vaccin contre la grippe étaient impressionnantes, mais les salariés s’inquiétaient du manque de trésorerie. Stanley Erck, lui, savait que c’était la dernière chance de son entreprise et que certains de ses collaborateurs avaient déjà un pied dehors.

Lorsque la pandémie a frappé, les dirigeants de Novavax ont fait le choix difficile de réorienter leurs efforts vers le vaccin contre la Covid-19, au risque de retarder celui contre la grippe. Le laboratoire avait déjà travaillé sur d’autres coronavirus et estimait donc avoir ses chances.

En janvier, Novavax a acheté le gène de la protéine S auprès d’un fournisseur de Shanghai, mais les liaisons aériennes ont été suspendues et la livraison n’est jamais arrivée. Au bout de quelques jours, le bureau américain du fournisseur, situé dans le New Jersey, a accepté de produire le gène et de le livrer à Washington chez Novavax.

Quelques semaines plus tard, le laboratoire a utilisé le baculovirus pour créer un vaccin qui devait alors être testé. Mais, à court d’argent, Novavax ne pouvait pas fabriquer de doses en grandes quantités.

En mars, Stanley Erck et d’autres responsables de laboratoires pharmaceutiques se sont réunis à la Maison Blanche pour parler du vaccin contre la Covid-19. Il n’y est pas allé par quatre chemins. « Soyons honnêtes : on a besoin d’argent », a-t-il expliqué au président Trump, selon une transcription de la conversation.

Le laboratoire a obtenu 2 milliards de dollars au titre de Warp Speed, le programme public de soutien au développement du vaccin, et de la Coalition for Epidemic Preparedness Innovations, une organisation à but non lucratif installée en Norvège. Novavax a également levé des fonds auprès d’un hedge fund.

Pour tester son vaccin, le docteur Glenn a fait appel aux chercheurs de l’université de l’Oklahoma, qui ont proposé quinze singes élevés pour la recherche médicale. Conjugués à d’autres études sur des animaux et des tests préliminaires sur des humains, les essais qui ont eu lieu ont montré une efficacité suffisante pour faire le buzz dans le secteur.

En octobre, Novavax a repoussé la date du lancement des essais cliniques aux Etats-Unis en raison de la complexité de la fabrication des doses, prenant du retard sur ses concurrents.

Pour les analystes de Stanford C. Bernstein, si le vaccin est validé, Novavax pourrait engranger 5 milliards de dollars de chiffre d’affaires cette année. Mais les dirigeants du laboratoire, plus conscients que quiconque du risque d’échec lors des essais cliniques, n’ont pas encore sorti le champagne

Le 28 janvier, le laboratoire a déclaré qu’une analyse intermédiaire de la phase 3 révélait que son vaccin était efficace à 89 % pour protéger les humains du virus au Royaume-Uni, où un variant commençait de circuler et d’inquiéter les autorités. En revanche, il n’est efficace qu’à 49 % contre le variant qui sévit en Afrique du Sud, a révélé une autre étude réalisée dans le pays, même si ce chiffre monte à 60 % chez les personnes séronégatives.

A l’instar des autres fabricants de vaccins contre la Covid-19, Novavax reformule son vaccin pour qu’il soit plus efficace contre les nouvelles souches.

Larry Corey, spécialiste des maladies infectieuses au Fred Hutchinson Cancer Research Center, a participé à la mise en place des essais fédéraux des vaccins contre la Covid-19. Il raconte que le dispositif de Novavax a plusieurs avantages potentiels, à commencer par le fait le vaccin contient une dose relativement faible de produit : il sera donc plus facile de produire de grandes quantités et de faire durer les stocks.

« La faisabilité et le potentiel sont très importants », affirme le docteur Corey.

Pour les analystes de Stanford C. Bernstein, si le vaccin est validé, Novavax pourrait engranger 5 milliards de dollars de chiffre d’affaires cette année. Mais les dirigeants du laboratoire, plus conscients que quiconque du risque d’échec lors des essais cliniques, n’ont pas encore sorti le champagne.

Les investisseurs misent sur une baisse d’environ 10 % du titre Novavax, signe d’un certain scepticisme. A titre de comparaison, le taux de positions courtes sur le S&P 500 (qui met en perspective les positions vendeuses par rapport à l’encours total) n’est que de 2,5 %.

Les résultats des essais à grande échelle aux Etats-Unis seront dévoilés fin mars. Stanley Erck affirme qu’il est inquiet mais optimiste. Ses proches sont, eux, surtout stressés. Sa femme, le docteur Sarah Frech, a ressorti il y a peu une figurine dont elle pense qu’elle porte chance.

« Elle est plus superstitieuse que moi », plaisante-t-il.

(Traduit à partir de la version originale en anglais par Marion Issard)

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