Algérie : l’avenir politique du Hirak
Deux ans après son surgissement, le grand mouvement de protestation de la société civile doit repenser sa stratégie et devenir une force de proposition politique, analyse la sociologue Amel Boubekeur dans une tribune au « Monde ».
Tribune.
Deux ans après l’émergence du Hirak, l’Algérie serait-elle revenue à la case départ ? Comme elle l’avait fait avec Bouteflika pour sortir de la guerre civile, l’armée a choisi d’installer un président « civil », Abdelmadjid Tebboune, dont l’inefficience lui importe peu tant que cette façade la dispense de négocier une sortie de crise avec des civils.
Face à cet insaisissable « pouvoir », l’opposition, elle, semble toujours exclusivement n’envisager une sortie de crise que par les deux voies – peu probables – d’un soulèvement révolutionnaire total, ou d’une subite et miraculeuse démocratisation impulsée par une nouvelle génération éclairée de militaires.
Cet évitement du politique a certes jusqu’ici permis aux deux parties de continuer à coexister tout en évitant d’entrer à nouveau frontalement en conflit. Mais cela a simultanément affaibli la capacité des institutions de l’Etat à répondre aux attentes réelles des Algériens. Dans un contexte de crise économique et sanitaire sans précédent, cette disparition graduelle de l’Etat pourrait remettre en question la centralité de la figure présidentielle comme pilier du régime militaire, mais aussi la volonté d’une normalisation institutionnelle de la contestation par le Hirak.
En 1999, Bouteflika avait pu se substituer à un Etat de droit simplement par la promesse de mettre fin à des années de violence. Sa « réconciliation nationale » s’était faite sans justice transitionnelle, sa redistribution de la rente pétrolière sans justice sociale, ses décrets présidentiels avaient remplacé le Parlement et la participation politique était circonscrite à la cooptation de certains partis.
Après deux décennies de décrédibilisation de l’Etat comme outil de réforme, personne ne croit aux promesses d’une Algérie nouvelle par le président Tebboune. Son élection et son référendum constitutionnel n’ont pas réactivé une participation populaire pro-régime qui devait contrebalancer celle de la rue. Le médiateur de la République qu’il a nommé afin d’aider les citoyens dans leurs « différends » avec l’administration s’est déclaré impuissant face à la corruption de la petite bureaucratie. Si un quart du budget de l’Etat est toujours consacré aux transferts sociaux, cela est sans effet faute de plan de relance post-Covid et de mesures pour lutter contre l’inflation et l’économie informelle.
La dissolution de l’Assemblée nationale et la promesse de nouvelles élections se heurtent à l’absence de partis fonctionnels. Même la grâce présidentielle octroyée à une partie des prisonniers d’opinion afin de dissuader la reprise des marches est affaiblie par l’illogisme d’un pardon accordé à des individus qui n’ont parfois pas encore été jugés ou dont les chefs d’accusation étaient arbitraires.
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