Frédéric Monier est professeur d’histoire contemporaine à l’université d’Avignon. Il explique le phénomène du retour d’affection imparfait supposé plus heureux.
Il a écrit plusieurs ouvrages, dont le dernier est intitulé L’argent immoral et les profiteurs de guerre à l’époque contemporaine (Peter Lang).
Plusieurs chefs d’entreprise comme des économistes estiment qu’à la crise sanitaire succédera une période de gaieté collective comparable à celle qu’ont connue les années 1920. Ce parallèle vous paraît-il pertinent ?
Il existe en effet des similitudes entre ces deux périodes, comme d’abord le regret de l’ancien monde. Après l’épidémie de Covid, on va regretter l’ancien monde parce qu’il ne pourra pas revenir exactement comme avant. L’histoire ne repasse pas les plats. Et c’est quelque chose que les Européens ont éprouvé très fort dans les années 1920, ils se mettent à parler de « la belle époque ». Mais il y a beaucoup de différences liées à l’ampleur de la catastrophe, le nombre de morts, le sentiment de la perte, du deuil. Après la grande guerre, la France compte 1 300 000 morts, des hommes jeunes. Les morts ne sont pas les mêmes, cette fois ce sont des personnes âgées. Autre différence, l’épidémie accroît des tensions déjà existantes, comme les vicissitudes de l’espace Schengen. Certains de ces conflits préexistent. Après 1918, la grande guerre accouche d’un monde radicalement nouveau.
Pourrait-on assister à un mouvement collectif de soif de fête et de liberté, pour rompre avec des mois d’inquiétude, comme cela fut le cas dans les années 1920 ?
C’est alors vrai pour une partie de la société, mais une autre partie juge que ce mouvement scandaleux constitue un outrage aux morts. Aujourd’hui aussi, les tensions sociales sont très fortes. On l’a vu avec la rave party sauvage à Rennes et toutes les réactions qu’elle a suscitées. Ça se transpose sur le plan économique. Les années folles sont des années de croissance économique en France. Cela crée un déséquilibre, avec des tensions culturelles fortes entre ceux qui incarnent les avant-gardes, avec des courants comme le dadaïsme et l’abstrait, et les artistes qui aspirent à un retour à l’ordre, à la fin de l’abstraction, au néoclassicisme.
Percevez-vous une envie de dépenser l’argent économisé pendant la crise, comme cela fut le cas juste après l’éradication de la grippe espagnole ?
Les années 1920 voient des formes de redistribution économique et d’atténuation des inégalités socio-économiques et financières très fortes. La pandémie actuelle a l’effet inverse, au niveau macro-économique : elle accentue les inégalités de revenus des groupes sociaux. Je ne pense pas que le retour à la consommation se fasse de manière vertueuse, plusieurs groupes sociaux sortiront très perdants de cette pandémie, dont les plus jeunes.
Les années 1920 se sont terminées par le krach de 1929. Qu’est-ce que cela augure-t-il ?
Le premier problème des années 1920 est celui de savoir qui va payer les destructions de la guerre. L’Allemagne étant tenue responsable, c’est elle qui doit payer pour les dommages de guerre, ce qui empoisonnera les relations internationales. Ce qui constitue aussi un point de similitude avec la dette internationale, les modalités de paiement, le financement de cette dette et son poids au plan monétaire.
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