L’urgence du dialogue social
Par souci d’efficacité mais aussi parce que cela contribue à favoriser une vie plus démocratique, le rôle du dialogue social doit être renforcé pour apporter une contribution décisive au rebond économique en cours après la période de confinement ayant entrainé un arrêt des activités estiment Jacques Barthelemy avocat-conseil en droit socialet et Gilbert Cette professeur associé à l’Université d’Aix-Marseille.
Le rebond économique en cours pourrait être renforcé par un rôle plus grand conféré au dialogue social dans l’élaboration, via les accords de performances collectives (APC), des compromis transitoires visant à concilier la protection du travailleur et l’intérêt (voire la survie) de l’entreprise. Ces compromis pourraient s’inscrire dans une supplétivité accrue, y compris dans le domaine salarial, des normes conventionnelles de branches vis-à-vis de celles élaborées au niveau de l’entreprise.
Par souci d’efficacité mais aussi parce que cela contribue à favoriser une vie plus démocratique, le rôle du dialogue social doit être renforcé pour apporter une contribution décisive au rebond économique en cours après la période de confinement ayant entraîné un arrêt des activités. Durant cette période, a été renforcé un dispositif d’activité partielle (autrefois nommé « chômage partiel ») afin de protéger d’un côté les entreprises du risque de défaillance et les travailleurs du risque de licenciements collectifs. Ce dispositif a logiquement été rendu moins généreux à partir de la sortie du confinement dans une double perspective de maîtriser les finances publiques et d’inciter à la reprise d’activité. Le système français demeure, malgré cette réduction, le plus généreux parmi ceux en vigueur dans les pays comparables.
Responsabilisation. Le dispositif parallèle d’activité partielle de longue durée (APLD) subit aussi une réforme en profondeur. Il reste plus favorable que celui reconfiguré d’activité partielle mais il doit résulter d’un accord collectif, de branche ou d’entreprise. Cela atteste d’une volonté de l’Etat de responsabilisation des partenaires sociaux par l’édification de compromis entre rémunérations et garanties d’emploi. Pour autant, l’APLD et le dispositif de droit commun d’activité partielle sont à la fois complexes et très onéreux pour les finances publiques ainsi que contraignants sur le terrain des rémunérations. Il serait, au nom de l’intérêt général, souhaitable que les deux constructions soient progressivement rendues moins attractives et que soient rendus plus attractifs les accords de performance collective (APC) grâce, notamment, à une aide publique qui aurait un caractère incitatif.
Les minima salariaux conventionnels de branche attachés à une qualification relèvent-ils (ou non) de « l’ordre public professionnel », auquel il est impossible de déroger ?
Au nom de l’intérêt de l’entreprise – qui ne se résume pas à celui des détenteurs du capital – l’accord organisant l’APC peut prévoir de nombreux aménagements dans la relation contractuelle individuelle au nom de l’avantage créé pour la collectivité de travail. Si ces aménagements affectent un élément substantiel du contrat de travail, l’existence d’une norme créée au nom de l’intérêt de la collectivité peut, en cas de refus du salarié, conférer une cause réelle et sérieuse de licenciement éventuel. L’accord créant l’APC peut organiser pour des périodes transitoires des baisses de salaires contreparties de garanties d’emploi, bien sûr dans le respect à la fois de dispositions impératives, d’ordre public comme le smic ou relevant de la qualification d’élément substantiel absolu du contrat de travail. Le rôle de l’accord créant l’APC pourrait encore être amplifié.
Les normes, en matière de rémunération, résultant de la convention collective de branche, pourraient être transitoirement écartées par cet accord. La concrétisation, de fait, de l’objectif emploi, de l’intérêt de la collectivité rend plus aisément acceptable la réduction d’avantages individuels, d’autant qu’elle est temporaire. D’où du reste une question essentielle : les minima salariaux conventionnels de branche attachés à une qualification relèvent-ils (ou non) de « l’ordre public professionnel », auquel il est impossible de déroger ? Cette question souligne l’importance d’une réflexion sur la primauté de l’intérêt de la collectivité, spécialement au nom de l’emploi, et donc du rôle fondamental de l’accord collectif.
Tissu conventionnel. On voit dans ce qui précède l’importance de privilégier le tissu conventionnel dans la construction du droit (pratique) du travail. La responsabilité de la loi, du règlement devrait s’exprimer de façon impérative exclusivement sur ce qui ressort des droits fondamentaux. Dans cette perspective, la négociation de branche doit voir son rôle fortement dynamisé, dans le contexte actuel de restructuration des branches professionnelles qui en réduit massivement le nombre. Cette dynamisation s’inscrirait dans la logique de supplétivité des ordonnances travail, supplétivité des normes légales vis-à-vis des normes conventionnelles de branche et d’entreprise, et supplétivité des normes conventionnelles de branche vis-à-vis de celles élaborées au niveau de l’entreprise.
Adopter une stratégie ambitieuse fondée sur un rôle accru du dialogue social favoriserait l’épanouissement d’un droit social – et pas seulement du travail – conférant une place prépondérante au droit conventionnel et donc à la négociation collective et au dialogue social
Ce dernier aspect est important dans la mesure où l’entreprise est le lieu le plus approprié pour l’élaboration des normes transitoires. Mais par la négociation collective car c’est le seul moyen, au nom de l’intérêt général, de concilier protection du travailleur, de sa santé et de son emploi, avec la performance économique de l’entreprise, et même dans de nombreux cas sa survie. L’accord sur l’APC pourrait ainsi devenir le véhicule le plus à même de répondre à des situations d’urgence. Cela rend indispensable, parce qu’on est alors sur le terrain de l’intérêt général, une stimulation des volontés par un accompagnement budgétaire mais moins généreux que les dispositifs destinés actuellement à l’activité réduite, dont l’APLD.
Adopter une stratégie ambitieuse fondée sur un rôle accru du dialogue social favoriserait l’épanouissement d’un droit social – et pas seulement du travail – conférant une place prépondérante au droit conventionnel et donc à la négociation collective et au dialogue social. Cela exige une grande qualité du dialogue social, rendue possible par l’accord de méthode ayant pour finalité équilibre des pouvoirs entre les parties, comportement loyal des négociateurs et exécution de bonne foi des textes signés.
Jacques Barthelemy est avocat-conseil en droit social (honoraire). Gilbert Cette est professeur associé à l’Université d’Aix-Marseille. Ils sont co-auteurs de Travailler au XXIe siècle – L’uberisation de l’économie ?, Editions Odile Jacob, 2017.
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