L’intelligence artificielle: un outil de lutte contre les situations oligopolistiques
Le juriste Thibault Schrepel présente, dans une tribune au « Monde », les avantages des nouveaux outils informatiques pour traquer abus de position dominante, collusions algorithmiques ou agissements illégaux des géants du numérique.
Tribune. Chaque nouvelle semaine révèle son lot de nouvelles affaires en droit de la concurrence. Ces derniers mois, Amazon, Apple, Facebook, Google – qui vient d’être condamné, mercredi 10 février, à 1 million d’euros d’amende par le tribunal de commerce de Paris pour abus de position dominante dans la publicité –, et bien d’autres encore ont fait l’objet de nouvelles procédures et allégations.
Bien souvent, ces entreprises sont accusées d’avoir manipulé leurs produits et services de sorte à diminuer la pression concurrentielle. Dans le même temps, les autorités de concurrence expriment des difficultés croissantes à détecter et analyser ces pratiques. Il faut dire que les stratégies des entreprises du numérique se complexifient au fur et à mesure des avancées technologiques.
Face à ce constat, la Commission européenne veut faire le pari d’introduire des mesures ex ante dont l’objectif est de prévenir la mise en œuvre de pratiques anticoncurrentielles. Le Digital Markets Act (DMA) présenté le 15 décembre 2020 par les commissaires européens Margrethe Vestager et Thierry Breton relève de cette logique. Il s’adresse aux grandes entreprises du numérique et vise à interdire de nombreux comportements listés aux articles 5 et 6.
Par exemple, la Commission veut empêcher « l’auto-préférencement » (par lequel une entreprise met en avant l’un de ses produits sur sa propre plate-forme). Elle entend également interdire l’utilisation des données personnelles provenant d’un service développé par ces entreprises pour en modifier un autre, que ce soit ou non pour l’améliorer.
Dans le préambule du DMA, la Commission dit avoir suffisamment d’expérience pour établir une liste de pratiques qui n’interdise que celles qui sont néfastes. Toutefois, les pratiques d’auto-préférencement n’ont fait l’objet que d’une seule décision au niveau européen. C’était en 2017 dans l’affaire Google Shopping. Les pratiques d’association des données font quant à elles l’objet d’une enquête en cours contre Amazon. Il s’agit de la première du genre.
Aucune de ces affaires n’a logiquement fait l’objet d’un arrêt par la Cour de justice de l’Union européenne. Enfin, relevons qu’il existe des situations dans lesquelles ces pratiques, bien que généralement anticoncurrentielles, peuvent bénéficier au consommateur.
Ces géants de la tech pourraient, par exemple, utiliser leurs plates-formes et leurs agrégateurs afin de promouvoir de nouveaux produits dans les secteurs de l’automobile, des télécoms ou de la banque. Le DMA pourrait compliquer ces entrées sur le marché. En établissant une liste définitive, la Commission risque de graver dans le marbre l’interdiction de certaines stratégies qui contribuent parfois à l’innovation.
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