Facebook : en recherche de dépolitisation
Le plus grand réseau social du monde va réduire la visibilité des contenus politiques pour encourager des communautés plus saines et répondre aux attentes des utilisateurs ( un article de Jeff Horwitz dans le Wall Street Journal)
Facebook a annoncé qu’il commençait à réduire la quantité de contenu politique visible dans le fil d’actualité de ses utilisateurs, ce qui pourrait limiter le rôle joué par le réseau social dans les élections et, plus largement, les débats d’idées.
Cette nouvelle, publiée mercredi dans un billet de blog, fait suite à la déclaration du directeur général Mark Zuckerberg, lors de la publication des résultats financiers de l’entreprise, selon laquelle la plupart des utilisateurs souhaitent voir moins de contenu politique. Il avait alors ajouté que réduire le contenu politique aiderait Facebook à « mieux rapprocher les gens et contribuer à encourager des communautés plus saines. »
Facebook indique que le contenu politique ne représente actuellement que 6 % de ce que les utilisateurs voient sur la plateforme. L’entreprise va immédiatement lancer des expériences afin de réduire encore cette proportion pour un petit pourcentage d’utilisateurs au Canada, au Brésil et en Indonésie. Des tests aux Etats-Unis suivront dans les semaines à venir.
L’entreprise a précisé qu’elle n’allait pas supprimer tout contenu politique, mais plutôt explorer des moyens d’en réduire l’exposition aux internautes qui préféreraient éviter ces contenus. En pratique, cela signifie que Facebook continuera d’autoriser les utilisateurs à publier des commentaires politiques et à en débattre entre amis, mais que ses algorithmes défavoriseront ces conversations et les diffuseront moins sur la plateforme, particulièrement auprès des personnes n’ayant pas manifesté d’intérêt pour ces sujets.
La société n’a pas précisé sa définition du contenu politique.
Facebook a annoncé mercredi que ces nouvelles mesures seraient progressives et accompagneraient des outils existants comme la possibilité de refuser les publicités politiques ou la garantie que le contenu d’entités choisies apparaisse en haut du fil d’actualité proposé par la plateforme à ses utilisateurs.
Ces initiatives marquent un tournant pour Facebook, qui dans le passé a apprécié joué un rôle d’acteur central et populiste dans les élections et mouvements sociaux de par le monde. Dans un discours en octobre 2019, Mark Zuckerberg a déclaré que les réseaux sociaux étaient le « cinquième pouvoir », un centre de puissance civique à l’égal de la presse ainsi que des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire du gouvernement américain.
Mark Zuckerberg a déclaré lors de l’annonce des résultats de l’entreprise qu’il repensait la place de la politique sur la plateforme dans une volonté de « faire descendre la température et de décourager les conversations et communautés conflictuelles ». Cette évolution intervient après une élection présidentielle américaine douloureuse qui a conduit Facebook à invoquer à deux reprises des mesures d’urgence pour apaiser les débats. La première fois, en novembre, juste après l’élection et la deuxième, dans le sillage de l’attaque du Capitole par les militants pro-Trump le 6 janvier.
Ces mesures d’urgence devaient être temporaires, mais certaines, comme des restrictions sur la vitesse à laquelle certains groupes Facebook peuvent croître, sont devenues permanentes.
Le Wall Street Journal a révélé précédemment qu’après une enquête en interne, Facebook avait conclu avant l’élection que, sur sa plateforme, les groupes politiques les plus actifs diffusaient un cocktail toxique de paroles haineuses, de théories du complot et d’appels à la violence.
En fonction de l’ampleur des changements sur Facebook, la baisse de visibilité du contenu politique pourrait perturber l’écosystème d’activisme en ligne, de publications et de publicités qui s’est développée autour du réseau social et de ses 2,8 milliards d’utilisateurs. Elle pourrait aussi réveiller les critiques, provenant essentiellement de voix conservatrices, selon lesquelles l’entreprise musèlerait le discours politique.
Au final, ce seront les tests et les retours des utilisateurs qui détermineront la place accordée au contenu politique, a déclaré la société.
« Notre objectif est de préserver la possibilité de trouver et commenter du contenu politique sur Facebook pour ceux qui le souhaitent, tout en respectant l’appétit de chacun pour ce type de contenu en haut de son fil d’actualité », expliquait le billet de blog d’Aastha Gupta, responsable produit pour Facebook.
L’entreprise précise que les informations sanitaires provenant de sources faisant autorité, ainsi que des agences et des services gouvernementaux ne seraient pas affectées par les tests.
Ce n’est pas la première fois que Facebook réévalue la visibilité de certaines catégories de contenus sur sa plateforme. Après avoir paramétré ses algorithmes pour recommander des contenus augmentant le temps passé sur la plateforme ou les réactions de ses utilisateurs, le géant des réseaux sociaux a adopté peu à peu un nouveau critère au cours de la deuxième moitié de la précédente décennie : « les interactions sociales significatives ».
Résultat : moins d’attention portée aux contenus consommés passivement, comme les publications d’entreprise, de marques et de médias, et davantage de publications partagées par la famille, les amis et les groupes d’intérêts d’un utilisateur. Les chercheurs aussi bien en externe qu’en interne ont trouvé que ces changements aboutissaient à moins de trafic pour les publications de journaux, mais davantage d’attention pour les articles qui suscitaient une forte réaction des utilisateurs.
Le Wall Street Journal a rapporté l’an dernier qu’une enquête interne indiquait que les algorithmes de Facebook récompensaient les diffuseurs de contenu clivant qui déclenchait une vive émotion chez ses utilisateurs.
Aastha Gupta a ajouté que Facebook discuterait publiquement des changements au fur et à mesure de leur mise en œuvre.
« Alors que nous nous lançons dans ce travail, nous partagerons les leçons apprises et les méthodes les plus prometteuses », a-t-elle commenté.
Facebook doit faire face à d’autres questions politiques sensibles à court terme. Son nouveau conseil indépendant de supervision du contenu doit déterminer si le réseau social a commis une erreur en suspendant le compte du président Donald Trump.
(Traduit à partir de la version originale en anglais par Astrid Mélite)
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