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Vaccins : pour une remise en question de la propriété intellectuelle

En pleine pandémie, la spécialiste des questions de propriété intellectuelle, Gaëlle Krikorian, appelle, dans un entretien au « Monde », à une remise à plat de l’économie du médicament et à la nécessaire transparence des négociations.

Après une thèse de sociologie sur l’accès aux médicaments à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (Ehess), Gaëlle Krikorian a travaillé au Parlement européen comme conseillère sur les questions de propriété intellectuelle, puis à Médecins sans frontières où elle a défendu un accès équitable aux traitements essentiels partout dans le monde.

En mai 2020, l’Union européenne appelait à faire du vaccin anti-Covid-19 un « bien public mondial ». Dix mois plus tard, les États les plus riches se disputent les doses tandis que les autres pays patientent. Comment analysez-vous la situation ?

L’appel de politiques à ce que le vaccin soit un « bien public mondial » est d’une terrible naïveté ou d’une grande hypocrisie. Il y a un paradoxe dans le fait de répéter, de ce côté-ci de l’Atlantique, que la santé doit être considérée comme un droit supérieur, que l’accès aux médicaments est universel, alors que l’on traite les produits de santé avant tout comme des marchandises et qu’on se refuse à prendre des mesures radicales.

Avec le système de propriété intellectuelle tel qu’il est appliqué par nos pays, un produit pharmaceutique ne peut pas devenir ce qu’on appelle en économie « un bien public » accessible à chacun. Il existe des principes de rivalité, de monopole, et donc d’exclusion.

Le même paradoxe existe dans d’autres domaines comme la biodiversité, par exemple, considérée en théorie comme un « bien public mondial », couvert par un accord international, le protocole de Nagoya, adopté en 2010. Dans les faits, il est extrêmement difficile, voire impossible, de faire respecter un tel principe au niveau global. D’une part, les lobbys industriels s’y opposent de toutes leurs forces, et d’autre part, ce sont les Etats qui autorisent des firmes à s’approprier, par des droits exclusifs, des savoirs sur les plantes que partagent et préservent depuis des millénaires les populations locales.

Un autre concept, celui de « biens communs », me semble plus intéressant, parce qu’il repose sur l’organisation d’une gestion collective de la ressource pour assurer son existence et son accès. Mais il nécessiterait une approche radicalement différente de celle qui prédomine actuellement, afin de traduire le fait que la recherche est un effort collectif qui mobilise de nombreux d’acteurs.

Quel regard portez-vous sur les débats autour de la répartition des vaccins contre le Covid-19 ?

La façon dont on a collectivement développé ce vaccin pose deux questions éthiques. La première porte sur la valeur de la vie, selon la zone géographique où l’on habite. Un système est-il pertinent si une partie de la population mondiale ne peut pas se protéger de l’épidémie ?

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