Covid et institut Pasteur
Directeur du laboratoire d’innovation vaccinale à l’Institut Pasteur, le professeur Frédéric Tangy revient dans un livre, L’Homme façonné par les virus (*), sur le coup d’arrêt porté à son vaccin contre la Covid-19 et sur une année de recherche hors normes.
L’Institut Pasteur et l’américain Merck ont annoncé le 25 janvier l’arrêt de votre projet de vaccin inspiré de celui contre la rougeole… Dans quel état d’esprit êtes-vous ?
On m’avait prévenu 48 heures avant. Je n’ai pas dormi pendant trois jours. J’ai ressenti l’annonce comme une catastrophe pour l’Institut Pasteur, pour mon laboratoire et pour moi, qui suis l’inventeur de cette stratégie vaccinale. Puis, j’ai fait comme tout chercheur : j’ai accepté l’échec et j’ai rebondi en me remettant à l’ouvrage.
Dans votre livre, vous revenez sur les étapes de la fabrication de votre vaccin. Vous expliquez que les premiers résultats de vos candidats, avant que l’un d’entre eux entre en essai clinique au mois d’août, « induisent de très bonnes réponses immunitaires ». Que s’est-il passé ?
Nos candidats apportaient une très bonne protection chez l’animal, mais entre la souris et l’homme, il y a un monde. Nous avons fourni plusieurs candidats à la biotech autrichienne Thémis (racheté depuis par Merck MSD) fin mai après trois mois de recherche. L’essai clinique était en double aveugle, c’est-à-dire que, ni le promoteur (l’Institut Pasteur), ni l’investigateur (Odile Launay) ne pouvaient connaître les résultats avant la fin de l’essai, programmé pour octobre 2021. Je n’ai donc vu aucun des résultats. Merck avait la main sur les essais cliniques. D’après ce que je sais, les réponses anticorps induites par ce vaccin étaient plus faibles que celles induites chez des patients convalescents ou celles induites par des vaccins ARN messager. La décision de Merck et de l’Institut Pasteur a été d’abandonner le développement. Côté recherche, tout était bouclé en mai. Ont suivi huit mois d’essai clinique de phase I, ce qui me paraît très long quand on compare à la vitesse à laquelle Pfizer ou Moderna ont fini leur phase III, à l’été, avec publication de leurs résultats en septembre. Nous étions à ce moment-là toujours en phase I. Je ne sais pas pourquoi cela a été aussi long.
« Nous avons élaboré plusieurs formules vaccinales avec différents degrés d’efficacité, et l’industriel a choisi de tester le candidat le plus abouti. Peut-être y a-t-il eu excès de rapidité »
Retour un an en arrière. Vous avez pris connaissance de l’existence du virus le 15 janvier, en lisant un article de Libération. A ce moment-là, quel est votre sentiment ?
On a tout de suite compris qu’on avait affaire à une nouvelle pandémie. On connaissait déjà les coronavirus : on avait travaillé sur le Sars 1 et sur d’autres maladies émergentes, le Zika, la fièvre de Lassa, le chikungunya. Pour ce dernier, on avait élaboré un vaccin arrivé en phase III d’essais cliniques. Pour le Sars 1, notre vaccin n’a jamais été développé puisque l’épidémie s’est éteinte d’elle-même. Nous avions donc une bonne expérience et une grande confiance en notre stratégie. On s’est remis au travail. C’est le rôle de l’Institut Pasteur. On a travaillé comme des fous, jours et nuits, week-end inclus. Je sentais la pression de l’industriel, la pression de la course mondiale. Nous avons élaboré plusieurs formules vaccinales avec différents degrés d’efficacité, et l’industriel a choisi de tester le candidat le plus abouti. Peut-être y a-t-il eu excès de rapidité. Si Thémis nous avait laissés un mois de plus, nous aurions favorisé un autre candidat, qui n’était pas tout à fait stabilisé en mai, mais auquel je faisais davantage confiance.
Avec le recul, que sait-on de l’émergence de ce virus ?
L’immense majorité de la communauté scientifique est formelle : c’est une zoonose, un virus qui est sorti de l’animal. Il n’existe aucune preuve que le virus soit issu d’un incident de laboratoire. Certes, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) mène une investigation. Elle ne trouvera rien de concluant plus d’un an après. S’il y a eu une fuite, une contamination accidentelle du laboratoire P4 de Wuhan, on n’en saura jamais rien. La Chine ne le permettra pas. Il n’y a rien de plus à dire sur l’origine du virus. Il est là, il ne partira plus, et il évolue.
Mais des équipes scientifiques ont déjà reconstitué ex nihilo des virus disparus. C’est le cas du virus de la grippe espagnole, reconstitué dans un labo américain en 2005…
On peut effectivement, par synthèse, reconstituer le génome d’un virus, quel qu’il soit. Mais il n’y a aucune raison d’inquiéter la population, on ne fabrique pas des virus sans avoir à rendre des comptes, notamment en France. La loi sur les micro-organismes toxiques (MOT) cadre la recherche. Les armoires et congélateurs où sont stockés ces MOT sont surveillés en permanence. Mais cette réglementation n’existe qu’en France.
Au printemps 2020, l’Institut Pasteur est accusé d’avoir contribué à l’élaboration du virus. Comment avez-vous réagi ?
Toute l’équipe a été secouée par cette fake news. On me comparaît à un assassin, une technicienne de mon laboratoire a reçu des menaces chez elle. L’Institut Pasteur a déposé plainte pour la première fois de son histoire. Un premier procès a été gagné et deux autres plaintes sont en cours avec constitution de parties civiles.
« L’industrie pharmaceutique française a été puissante, en particulier dans le domaine des vaccins. Puis les années 1990 ont vu des grandes fusions industrielles dans ce secteur, et nous n’avons pas suffisamment pris le tournant des biotechs »
En 1802, un caricaturiste anglais a griffé les Londoniens apeurés à l’idée de se transformer en vache après avoir été vaccinés contre la variole par un traitement dérivé de la vaccine, une maladie infectieuse des bovins. Pourquoi 200 ans après, se méfie-t-on toujours autant des vaccins ?
Les gens ont peur des vaccins, car ils n’ont plus peur des maladies qui, grâce aux avancées pasteuriennes entre autres, ont quasiment disparu : tuberculose, rougeole, polio, oreillons, coqueluche, etc. Et puis, en France, il y a un terreau, une histoire qui est défavorable. Le procès du sang contaminé par le sida et celui de l’hormone de croissance ont contribué à l’image négative et à la perte de confiance dans les industriels et les services de santé publique. Rappelez-vous également la polémique sur le vaccin contre l’hépatite B. A la fin des années 1980, une association a été faite entre le vaccin et l’apparition de la sclérose en plaques. Or, il n’y avait aucun lien. Mais cette histoire est restée dans l’esprit des gens.
Quel regard portez-vous sur la compétition mondiale liée aux vaccins ?
Le premier round a été clairement remporté par les Anglo-saxons, le président Trump s’en est assuré en mettant beaucoup de milliards sur la table, Boris Johnson en faisant de même pour faire travailler ensemble Astrazeneca et l’Université d’Oxford. En France, une telle incitation n’a pas été faite. Pasteur a pris l’initiative de se rapprocher de Sanofi, mais le laboratoire avait déjà sa propre stratégie. Dans notre pays, on a du mal à faire travailler ensemble les industriels et les scientifiques, contrairement aux Anglo-saxons. L’industrie pharmaceutique française a été puissante, en particulier dans le domaine des vaccins. Puis les années 1990 ont vu des grandes fusions industrielles dans ce secteur, et nous n’avons pas suffisamment pris le tournant des biotechs. Stéphane Bancel, le patron de Moderna, est Français. Il a préféré exporter son savoir-faire. Valneva est allé chercher des financements outre-Manche. Une nouvelle séquence de géopolitique de la santé s’ouvre désormais avec la Chine et la Russie en embuscade. En Europe, seuls les Anglais tirent leur épingle du jeu mais, pas de chance, le Brexit est passé par là. La France est démunie. A Pasteur, nous poursuivons le combat contre la Covid.
Le mode de vie, la promiscuité, l’avènement des transports ont influé sur l’expansion des virus. Le Covid-19 est un « rappel à l’ordre », écrivez-vous. Doit-on changer notre façon de vivre ?
Il faut à tout prix ralentir l’économie débridée, les échanges colossaux entre continents, stopper les milliers de conteneurs qui déversent dans les ports des milliers de microbes et de moustiques. La dengue est arrivée en Afrique de l’Est par conteneurs en provenance d’Asie et d’Arabie saoudite ! Quatre milliards de personnes prennent l’avion tous les ans. Pourquoi avons-nous besoin d’aller passer nos vacances en Afrique centrale ou en Amazonie ? C’est un combat écologique et biologique qu’il nous reste à mener. Il faut respecter les microbes et comprendre que nous, humains, sommes des intrus.
(*) L’Homme façonné par les virus, Frédéric Tangy et Jean-Nicolas Tournier, éd. Odile Jacob, 21,90 euros.Corvidés instituts Pasteur
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