Les limites de la désobéissance civile
La « désobéissance civile » est une expression forgée par un siècle de combats au nom de la justice pour tous et de la conquête de nouveaux droits. L’employer à tout propos procède d’une dangereuse équivoque politique, s’inquiète, dans une tribune au « Monde », l’ex-député écologiste Noël Mamère.
Tribune
. La colère et la détresse des cafetiers et restaurateurs, condamnés à l’inactivité par les mesures sanitaires du gouvernement liées au Covid-19, peuvent-elles être qualifiées de « désobéissance civile », comme nous le répètent certains médias ? Ne prennent-ils pas le risque de la confusion, de l’amalgame et, partant, de la manipulation politique en appliquant à une jacquerie – dont on peut comprendre les motifs – une expression forgée par un siècle de combats au nom de la justice pour tous et de la conquête de nouveaux droits ?
Quel lien peut-on établir entre les grandes figures de la « désobéissance civile non violente », telles que Henry David Thoreau (1817-1862), Gandhi (1869-1948), Martin Luther King (1929-1968), pour ne citer que les plus célèbres, et les manifestations des restaurateurs d’aujourd’hui ? Se battent-ils pour la conquête de nouveaux droits ou pour la seule survie de leur activité ?
En procédant à de tels raccourcis, qui ignorent le poids de l’histoire et détournent le sens des mots, les médias et les réseaux sociaux méprisent sans le savoir des générations de militants politiques pour lesquels « désobéir » signifie « faire son devoir » quand il s’agit de répondre à ce que leur dicte leur conscience. Quel qu’en soit le prix. Gandhi et Luther King l’ont payé de leur vie.
La « désobéissance civile » s’inscrit en effet dans une longue histoire. Elle commence au XIXe siècle, avec l’Américain Henry David Thoreau, auteur d’un court texte intitulé « la désobéissance civile », écrit après une nuit passée en prison pour avoir refusé de payer ses impôts à l’Etat du Massachusetts, au motif qu’ils finançaient l’esclavage et la guerre américaine au Mexique. « Je conseille de rompre avec l’Etat tant qu’il hésitera à faire son devoir », écrivait-il.
Le « devoir », au cœur de toute sa philosophie qui va inspirer des générations de désobéissants. Si Thoreau avait eu 20 ans en août 1914, quand les grandes puissances ont déclenché la première boucherie du XXe siècle, il aurait sans doute fait partie des insoumis ou des mutins, en obéissant au « devoir » de sa conscience, contre le « devoir » d’un Etat qui a envoyé toute une génération au cimetière.
S’il avait eu 20 ans au moment de la guerre d’Algérie, il serait devenu objecteur de conscience et aurait sans doute appartenu au réseau Jeanson, comme, en son temps, il fut un militant actif de l’« Underground Railroad », ce réseau d’aide aux esclaves fugitifs qui cherchaient à rejoindre le Canada voisin.
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