L’industrie pharmaceutique française en cause

L’industrie pharmaceutique française en cause

L’historienne Muriel Le Roux détaille, dans une tribune au « Monde », la lente érosion de l’écosystème français du médicament.

Tribune. 

 

En juillet 2018, le Conseil stratégique des industries de santé annonçait de nouvelles mesures pour que les firmes du secteur choisissent davantage la France pour investir en recherche et développement (R&D). Après la loi Allègre de 1999 et ses adaptations régulières, qui offrent des dispositifs parmi les plus favorables à l’innovation, cette réitération peut sembler étonnante.

Favoriser les relations entre la recherche académique et l’industrie a été une préoccupation constante des pouvoirs publics sous la Ve République. Après 1945, les Etats les plus riches ont tous corrélé big science et big business, en particulier dans la chimie et la pharmacie, donnant naissance à un milieu aux contours flous et au jeu d’acteurs sans cesse renouvelé, dont la complexité s’est accrue sous l’effet de la mondialisation et de la financiarisation des entreprises. Ce qui apparaît au grand jour depuis un an n’est donc pas nouveau.

 

En France, dès les années 1950, nombre de chercheurs du CNRS avaient des contrats individuels avec l’industrie, notamment chimique. Jusqu’aux années 1980, la communauté scientifique jouissait d’une grande autonomie dans le choix et la conduite des recherches, ainsi que dans la décision de coopérer ou pas avec l’industrie. Avec l’accord-cadre Rhône-Poulenc-CNRS de 1975, il s’agissait pour l’Etat d’encadrer des pratiques existantes dans les laboratoires, de valoriser les résultats de la recherche publique, de limiter l’usage qu’en faisaient les industriels sans y avoir contribué, tout en orientant une partie de la recherche. Cette politique scientifique et des mesures fiscales incitatives explique en grande partie la performance industrielle des laboratoires chimiques et pharmaceutiques français, qui ont ainsi pu rattraper leur retard du début des années 1950.

Dans le cas du Taxotère, un anticancéreux bien connu dont la molécule avait été découverte à l’Institut de chimie des substances naturelles (ICSN-CNRS) après plus d’une décennie de recherches publiques partiellement financées par des contrats signés par les chercheurs eux-mêmes avec les industriels, Rhône-Poulenc Rorer prit directement les brevets, tandis que la recherche publique reçut les redevances qui lui revenaient selon le contrat.

 

Mais au cours des années 1980, le partenariat par « accord-cadre » entre institutions s’est généralisé, excluant progressivement les chercheurs des décisions en matière d’innovation et restreignant l’indépendance de la recherche académique. Sans doute s’agissait-il de faire face à l’augmentation du coût de la recherche et de s’adapter au système nord-américain de cofinancement entre les universités (publiques et privées), les entreprises, les fondations et l’Etat fédéral. Mais la conséquence a été le triomphe du modèle de la très grande firme se concentrant sur la production des « blockbusters » (molécules dont le chiffre d’affaires dépasse le milliard d’euros) et réalisant des économies d’échelle en R&D, à coups de rachats et de concentration. Le Taxotère a été l’un des blockbusters du groupe Sanofi, devenu l’un des leaders mondiaux du secteur. 

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