Une démocratie de type militaire ?
Les politistes Delphine Dulong et Brigitte Gaïti s’inquiètent, dans une tribune au « Monde », du rétrécissement de l’espace de la décision politique autour de la figure présidentielle, au risque d’une perte d’efficacité sur le terrain.
La succession des séquences est désormais bien établie : une réunion du conseil de défense dont on ne sait rien, puis le premier ministre (ou le ministre de la santé), accompagné de ministres concernés, qui vient devant les caméras, s’installe à une tribune, retire son masque et égrène les mesures à prendre (heures de couvre-feu, commerces autorisés à ouvrir, dérogations pour des sorties, etc.).
Le dispositif, inédit, s’est routinisé et dessine un nouvel espace décisionnel. Le conseil des ministres est éclipsé par ce conseil de défense, créé en 1906, activé durant la première guerre mondiale, constitutionnalisé en 1958 et réformé en 2002 puis en 2009, chargé, entre autres, de planifier les « réponses aux crises majeures ».
Autre innovation spectaculaire surgie dans la crise : un conseil scientifique, fort d’une douzaine de membres, très largement composé de médecins hospitaliers, doit outiller la décision politique en statuant sur l’état de la pandémie, les connaissances scientifiques et les mesures propres à y mettre un terme. Le conseil scientifique semble devoir résumer l’expertise scientifique sur le sujet, mettant de côté les compétences d’autres administrations, d’agences et d’établissement sanitaires, de corps formés à l’urgence, au soin ou à la prévention.
La loi d’urgence, votée et prolongée par un Parlement anesthésié qui peine à exister dans ce processus de décision, vient compléter cet assemblage.
Rêve technocratique
Le Covid-19 conduit donc à la fois à une recomposition et à un dépeuplement sévère de l’arène décisionnelle. Le dispositif, conçu sur le mode de l’état-major et inspiré de l’organisation militaire, est réputé permettre le retour d’une capacité d’action efficace et rapide en dérogeant au processus ordinaire, fait de réunions interministérielles, de compromis et marchandages entre les services administratifs des ministères, les agences sanitaires, les corps ou les représentants des professions. Il faut aller vite, plus vite que le virus dont la publication des chiffres de contamination rend visible chaque jour la dangereuse progression.
Le dispositif permet d’émanciper la figure élyséenne ; le conseil de défense se réunit à l’Elysée sous conduite présidentielle, les grandes décisions sont énoncées solennellement par le président de la République dans des retransmissions télévisées touchant un large public, les mesures plus sectorielles sont présentées par les membres du gouvernement. Les hiérarchies politiques sont ainsi mises en scène. Il en ressort une forme d’épuration du niveau décisionnel, rendu stratégique, rationnel, car placé à distance du gouvernement des choses, dégagé des nécessités et des vicissitudes de l’opérationnel ou de la logistique.
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