Bourse : L’explosion des IPO

Bourse : L’explosion des IPO

Une possible bulle des introductions publiques en bourse entre parenthèses (IPO)  alors que la récession fait rage, les introductions en Bourse se multiplient et pourraient atteindre le niveau de la bulle Internet des années 2000

L’assurance en ligne SelectQuote a fait son entrée au NYSE en mai. Cette année, plus de 235 entreprises ont été introduites à Wall Street. Un chiffre qui se rapproche du record de 2000, où 439 IPO avaient été enregistrées.

Les IIPO l’abréviation d’Initial Public Offering, ou introduction en bourse en français, et permet la cotation des actions d’une société sur un marché boursier. Elle pourrait enfler comme la grenouille et même éclater compte tenu du succès qu’elle rencontre. ( article du Wall Street Journal)

 

Avant une IPO, une société est considérée comme privée car ses actions ne sont disponibles qu’aux investisseurs impliqués dès la création. Après une IPO, l’acquisition d’actions est ouverte au grand public. C’est pourquoi les IPO sont aussi connues sous le nom de ‘flottement’. On peut également dire que la société ‘devient publique’.

Lorsqu’une société entreprend une IPO, elle cote un certain nombre d’actions sur une place boursière pour effectuer une levée de capital. Les IPO représentent l’une des nombreuses façons pour une entreprise d’augmenter son capital, avec d’autres alternatives populaires comme trouver des investisseurs importants, le crowfunding ou en utilisant les bénéfices non distribués.

Beaucoup d’entreprises sont en difficulté. Des millions d’Américains sont au chômage. Mais à Wall Street, les introductions en Bourse s’enchaînent et 2020 pourrait être le meilleur millésime de l’histoire.

Entre début janvier et mercredi dernier, les nouvelles cotations ont permis de lever près de 95 milliards de dollars, selon le fournisseur de données Dealogic. Exception faite de 2014, ce chiffre dépasse d’ores et déjà les montants annuels levés depuis la bulle Internet des années 2000. Et le record de 2014 ne tient qu’à un fil : cette année-là, les IPO avaient rapporté 96 milliards de dollars, dont un quart à Alibaba Group Holding.

Banquiers, avocats et dirigeants d’entreprises : tous estiment que si la frénésie se poursuit, 2020 éclipsera 1999 et 2000, deux années pendant lesquelles les investisseurs avaient déversé des milliards de dollars dans les valeurs d’Internet avant que ces dernières n’essuient un krach en bonne et due forme.

La voracité est à nouveau de mise : pour leurs premiers pas sur le marché, les IPO de 2020 ont gagné 22 %, ce qui ne s’était plus produit depuis vingt ans. En moyenne, les actions cotées cette année ont grimpé d’environ 24 % par rapport à leur prix d’introduction.

Jamais le marché des introductions en Bourse n’avait été aussi décorrélé de l’état de l’économie américaine. La pandémie de coronavirus a précipité les entreprises dans l’abîme et fait atteindre un niveau record au chômage au printemps. Elle a aussi provoqué un changement de cap de l’économie : la technologie étant devenue indispensable au travail, à l’enseignement et aux communications quotidiennes, la valorisation des entreprises qui y sont liées a explosé. Par ailleurs, la faiblesse des taux d’intérêt pénalisant les rendements des investissements traditionnellement considérés comme sûrs (les obligations notamment), les investisseurs cherchent à gagner de l’argent par d’autres moyens.

Cette année, plus de 80 % des sommes levées lors des introductions en Bourse sont allées à la santé, la technologie et les « blank-check companies », des entreprises sans activité dont l’objectif est d’acheter une société non cotée et de l’introduire en Bourse. Selon Dealogic, le marché des IPO n’avait plus été aussi concentré depuis 2007, année où, à la veille de la crise financière, les introductions en Bourse de banques et autres établissements de crédit avaient submergé le marché.

Plus de 235 entreprises ont fait leur entrée à Wall Street cette année, toujours selon le fournisseur de données, un chiffre qui se rapproche du record de 2000, où 439 IPO avaient été enregistrées. Airbnb et Palantir Technologies, qui rejoindront la Bourse après de nombreuses années loin d’elle, devraient bientôt venir s’ajouter à la liste.

Signe de l’engouement : Warren Buffett, l’investisseur le plus célèbre des Etats-Unis, participe au mouvement alors qu’il est connu pour son peu de goût pour les start-up.

Berkshire Hathaway, sa société d’investissement, a acheté pour environ 735 millions de dollars d’actions Snowflake, un spécialiste de l’hébergement des données, lors de son introduction en Bourse. Le 16 septembre, premier jour de leur cotation, les actions ont clôturé à plus de 250 dollars pièce, plus de deux fois leur prix d’introduction, plaçant l’entreprise au premier rang des IPO technologiques de l’année. A la clôture, Snowflake valait 70,4 milliards de dollars et la participation de Berkshire, 1,6 milliard de dollars.

Cet incroyable dynamisme contraste avec le marasme de ces dernières années, quand les spécialistes du capital-risque et les PDG prononçaient l’oraison funèbre des introductions en Bourse. Pendant plus d’une décennie, les entreprises avaient préféré se tourner vers le marché hors cote pour lever des fonds, une option rendue possible par l’existence de gigantesques fonds d’investissement, dont le Vision Fund de SoftBank Group et ses 100 milliards de dollars de force de frappe. En restant loin de la Bourse, les start-up n’avaient pas besoin de satisfaire aux exigences réglementaires ni de répondre aux questions des détenteurs d’actions. En 2016, les IPO et leurs investisseurs ont levé moins de 25 milliards de dollars.

Mais aujourd’hui, c’est l’inverse : les entreprises redoutent de rester trop longtemps loin des places financières. Les difficultés d’Uber et Lyft n’y sont d’ailleurs pas étrangères. De leur côté, changeant leur fusil d’épaule, les investisseurs apprécient les entreprises à forte croissance et valorisation élevée qui sont rares hors cote. Une nouvelle stratégie est donc en train d’émerger : lancer une introduction en Bourse une fois l’entreprise un peu plus mature mais avant que la trajectoire de croissance ne ralentisse.

Le marché est moins extatique qu’il ne l’était pendant la bulle Internet. A l’époque, les investisseurs finançaient sans compter des start-up du Web telles que Pets.com, qui a brûlé toute sa trésorerie avant de faire faillite en quelques mois et de provoquer de gros dégâts sur le marché boursier. Pourtant, des entreprises qui avaient renoncé à se coter en 2020 finissent par vouloir se lancer, espérant surfer sur la vague d’optimisme. D’autres envisagent de faire leur premier pas en Bourse au premier semestre 2021.

Quasiment inchangé depuis les années 1980, le processus d’introduction en Bourse a lui aussi évolué.

« C’était au départ un ballet très codifié », explique Bennett Schachter, responsable des solutions de financement alternatif chez Morgan Stanley. En règle générale, il fallait réaliser plusieurs tours de table, puis potentiellement un placement privé auprès d’investisseurs présélectionnés, un autre tour de table auprès d’investisseurs travaillant surtout avec des sociétés cotées, puis venait enfin l’heure de l’IPO. « Aujourd’hui, il y a de plus en plus d’autres solutions très bien acceptées », ajoute-t-il.

Les blank-check companies se sont ainsi multipliées cette année : se présentant comme une alternative aux IPO traditionnelles, elles représentent plus de 40 % des fonds levés cette année, contre 9 % en moyenne sur la dernière décennie, selon Dealogic.

Kevin Hartz, cofondateur d’Eventbrite, fait partie des premiers à avoir investi dans Airbnb, Uber et Pinterest. Cette année, il a décidé de lancer sa propre blank-check company.

Il raconte qu’il a rencontré ses banquiers mi-juin pour leur parler de ses projets. Moins de quinze jours plus tard, il déposait son dossier auprès de la SEC, l’autorité des marchés financiers américains. Son entreprise est entrée en Bourse fin juillet. Moins de 60 jours après avoir été reçu par ses banquiers, Kevin Hartz avait levé 200 millions de dollars et contacté les fondateurs d’entreprises avec lesquelles il souhaiterait fusionner. Il se dit étonné de la vitesse à laquelle son idée de blank-check company (aussi appelée société d’acquisition à vocation spécifique, ou SPAC) est devenue réalité.

« Les SPAC pourraient finir par s’imposer », affirme-t-il, soulignant que l’un des principaux avantages pour leurs fondateurs réside dans le fait que, dans le cas des fusions inversées, la start-up génère des bénéfices et peut offrir des prévisions de croissance à ses actionnaires, ce qui n’est pas possible avec une IPO classique.

Autre option pour les entreprises désireuses d’ouvrir leur capital : s’introduire en Bourse par une cotation directe, c’est-à-dire en vendant les actions existantes que détiennent leurs salariés et leurs investisseurs, qui peuvent de leur côté monétiser leur participation. Cette technique permet d’économiser les frais facturés par les banques d’investissement qui souscrivent l’IPO, mais pas de lever des fonds supplémentaires.

Palantir, spécialiste du big data cofondé par le milliardaire Peter Thiel, finalisera son introduction directe d’ici quelques jours, signant l’une plus grosses IPO de l’année : elle devrait lever quelque 22 milliards de dollars. Le développeur de logiciels Asana envisage de faire la même chose.

Avant Palantir, seules deux sociétés avaient choisi d’entrer en Bourse de cette manière. La première, Spotify Technology, cotée depuis 2018, a passé l’essentiel de ses deux premières années en Bourse en dessous de son premier cours de clôture. Mais depuis le printemps, ses actions se sont envolées. La seconde, Slack Technologies, dont l’IPO date de 2019, n’a pas encore réussi à repasser au-dessus de ce niveau.

Airbnb, l’autre grand nom censé arriver à Wall Street cette année, a également envisagé une introduction directe. Mais le spécialiste de la location de logements a changé d’avis après que la pandémie a contraint ses dirigeants à lever des fonds supplémentaires, ont rapporté des sources proches du dossier. Le porte-parole d’Airbnb n’a pas souhaité commenter.

Les règles pourraient toutefois bientôt changer. Fin août, malgré l’opposition de certains investisseurs, les régulateurs ont validé la proposition de la Bourse de New York, qui suggérait d’autoriser les entreprises à lever des fonds supplémentaires même en cas de cotation directe. Cette possibilité serait une excellente nouvelle pour les entreprises et rendrait les cotations directes encore plus intéressantes, selon des sources proches du dossier. Nasdaq a fait la même proposition.

« Il y a eu plus d’innovations ces deux dernières années qu’en deux décennies, estime Stacey Cunningham, président de la Bourse de New York. Le marché des IPO connaît une véritable renaissance. »

Les mesures de distanciation sociale ont elles aussi joué un rôle majeur. En général, le roadshow qui précède une introduction en Bourse dure entre huit et dix jours, pendant lesquels les dirigeants de l’entreprise parcourent le monde et courtisent les investisseurs potentiels dans des salles de conférence. Ces événements sont désormais plus rapides et entièrement virtuels, ce qui permet à davantage d’investisseurs de participer.

Lorsque le spécialiste de l’assurance en ligne SelectQuote a fait son entrée au NYSE en mai, il s’est contenté de quatre jours de présentations virtuelles. « Qui aurait pu penser qu’on puisse lever 350 millions de dollars en pyjama dans son salon ? », plaisante son patron, Tim Danker.

. Les revirements provoqués par la pandémie, sur le marché hors cote comme en Bourse, ont également joué un rôle favorable. Quand les Etats-Unis ont mis en place des mesures de confinement au printemps, les financements privés se sont raréfiés. Certains dirigeants ont peiné à lever les fonds au niveau de valorisation qu’ils souhaitaient. Au deuxième trimestre, le nombre de start-up réalisant des tours de table sur le marché hors cote à une valorisation inférieure au tour de table précédent a grimpé en flèche.

Le marché du financement coté, IPO incluses, a lui aussi brièvement marqué le pas début mars, mais les mesures rapidement prises par les banques centrales ont rouvert le robinet des liquidités. Fin mars, le S&P 500 est tombé à son plus bas niveau de l’année, avant que l’intervention de la Réserve fédérale (qui a acheté des obligations et permis aux entreprises de lever des fonds) et l’enthousiasme des investisseurs ne fassent rebondir les valeurs technologiques et les principaux indices. Banquiers et dirigeants d’entreprise ont profité de cet accès d’optimisme et incité les entreprises qui envisageaient une cotation au printemps à se lancer.

Pour que ces opérations se déroulent sans accroc, les entreprises et leurs banquiers ont demandé aux investisseurs institutionnels, dont T. Rowe Price Group et Fidelity Investments, de s’engager à acheter de grandes quantités d’actions, avant l’IPO ou au moment de l’entrée en Bourse. Des gérants de fonds ont expliqué au Wall Street Journal qu’après un printemps compliqué et préjudiciable pour certains de leurs portefeuilles, c’est avec joie qu’ils avaient participé aux IPO, qui ont tendance à surperformer le marché.

Les actions qui ont été cotées entre fin mai et début juin se sont envolées, ouvrant la voie à une myriade d’émissions pendant l’été. La Bourse de New York a ainsi déclaré qu’août, où le calme règne généralement sur le marché des IPO, avait été le mois le plus actif en la matière depuis octobre 2013.

Signe que la demande est cette année supérieure au nombre d’entreprises capables de s’introduire rapidement en bourse, les blank-check companies se sont multipliées depuis le printemps.

Ce type de structure existait depuis de nombreuses années, mais n’avait jamais été pris au sérieux. Sa légitimité a été renforcée, l’an passé, par l’introduction en Bourse de grands noms tels que Virgin Galactic Holdings et DraftKings, qui ont utilisé des fusions inversées et des blank-check companies.

En règle générale, leurs promoteurs sont généreusement rétribués même si l’action perd du terrain : ils obtiennent des actions représentant 20 % à 25 % du montant levé lors de l’IPO au moment de l’acquisition de la cible (certains nouveaux entrants réduisent parfois leurs marges). Pourtant, les blank-check companies cotées ne connaissent pas toujours le succès : historiquement, leurs actions se négocient en dessous de leur prix d’introduction et les opérations qu’elles réalisent n’obtiennent pas toujours l’aval des actionnaires. Les nouveaux entrants affirment qu’ils veulent faire changer les choses.

Le cas de Nikola montre que les risques n’ont pas disparu. Son IPO, réalisée par le biais d’une SPAC en 2020, est aujourd’hui dans l’œil du cyclone, le département de la Justice se demandant si le constructeur de camions électriques n’a pas exagéré sa maîtrise technologique. Le porte-parole de Nikola n’a pas souhaité commenter. Les actions se sont effondrées, mais restent au-dessus du niveau qu’elles affichaient au moment de l’annonce de la fusion.

En difficulté, le spécialiste du streaming vidéo Quibi envisage une fusion inversée pour entrer en bourse, révélait lundi le Wall Street Journal.

Vivek Ranadivé n’est pas un débutant. En 1999, l’entrepreneur spécialiste de la tech a introduit sa société Tibco Software en Bourse et vu le cours de l’action doubler pendant sa première séance. Il a revendu Tibco à une société de capital-investissement en 2014, a continué d’investir dans la technologie et est devenu actionnaire majoritaire des Sacramento Kings.

En février, Vivek Ranadivé a assisté au All-Star Game de la NBA. Il y a rencontré des investisseurs qui lui ont conseillé d’avoir recours à une blank-check company. Il s’est d’abord montré sceptique.

« Une SPAC, ça n’inspirait pas confiance il y a vingt ans », explique-t-il. Puis la pandémie l’a frappé de plein fouet et le timing a semblé idéal pour une SPAC. Il s’est donc jeté à l’eau.

Cet été, Vivek Ranadivé a levé plus de 480 millions de dollars pour sa société. Il cherche désormais une cible à acheter.

Traduit à partir de la version originale en anglais

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