Patriotisme économique : retour à la mode
La professeure de science politique Cornelia Woll explique, dans un entretien au « Monde », que cette thématique peut permettre de surmonter les clivages gauche-droite, mais qu’il y a mésentente sur les stratégies à mettre en place pour y parvenir.
Cornelia Woll est professeure de science politique à Sciences Po. Elle estime que le thème du souverainisme revient à chaque crise remettant en cause la place de la France dans l’économie mondiale.
Depuis la crise sanitaire, les thématiques souverainistes, notamment économiques, sont revenues sur le devant de la scène. Un tabou est-il tombé ?
Le sujet revient de manière périodique. En 2005, il y a eu une grande discussion sur le patriotisme économique sous Dominique de Villepin avec des débats qui ressemblent à ce que l’on voit aujourd’hui ; après la crise financière de 2008, la question des prérogatives nationales sur les marchés financiers était revenue fortement ; la pandémie nous interroge à nouveau sur le contrôle des entreprises, la circulation des personnes, mais aussi des biens et des services. A chaque fois, cela nous renvoie à la question de ce difficile équilibre entre notre capacité à gérer le destin économique de la France et notre place dans une économie mondialisée.
Ces débats sont-ils une exception française ou ont-ils lieu dans d’autres pays ?
On peut retrouver, dans beaucoup de pays, des débats similaires, par exemple sur les chaînes d’approvisionnement des masques ou des médicaments. En Grande-Bretagne, la discussion sur la souveraineté économique était tellement forte, qu’elle a amené le Brexit. Mais il y a une particularité française sur la volonté de contrôler son économie, un certain chauvinisme, qui se disait moins dans d’autres pays. L’expression « patriotisme économique » faisait sourire il y a quinze ans, mais elle est aujourd’hui fortement mobilisée dans plusieurs pays, comme on a pu observer dans l’Amérique de Donald Trump.
Le souverainisme de gauche, même s’il a toujours existé, était marginal. Aujourd’hui, il semble de plus en plus répandu. Comment l’expliquer ?
Ce n’est pas si nouveau que ça. Arnaud Montebourg était ministre du redressement productif, un intitulé qui a beaucoup fait rire à l’étranger parce que cela représentait cette idée désuète du pilotage de l’économie par l’Etat. Plus à gauche encore, l’altermondialisme peut amener à réfléchir d’abord en termes de résistance nationale à l’économie mondiale. Cette idée concerne plus La France insoumise que les partis de l’internationale socialiste.
Peut-il y avoir un dépassement du clivage droite-gauche autour du souverainisme ?
Il y a des thématiques qui permettent de surmonter ce clivage, c’est le cas du souverainisme, comme du patriotisme ou, d’autres termes qui permettent de renvoyer au « pays ». Autour de ces notions, il y a la tentative de définir un intérêt partagé par l’ensemble des Français qui peut parler aussi bien à une partie de la gauche que de la droite. Il y a tout de même une difficulté à se mettre ensuite d’accord sur des stratégies à mettre en œuvre : la souveraineté économique passe-t-elle par une hausse des taxes aux frontières ? Une limitation de la circulation des capitaux ou des personnes ? Quand on arrive à ces sujets, le clivage gauche- droite reviendra plus fortement, par exemple autour de la question migratoire ou du financement des entreprises.
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