Algérie : la névrose de l’identité
Le chercheur Paul Max Morin souligne l’incapacité de la République française à penser le colonialisme et dénonce « l’instrumentalisation de ce passé par des entrepreneurs identitaires . Certes le principe de la colonisation est totalement condamnable mais il y a maintenant 60 ans que l’indépendance de l’Algérie a été déclarée. 60 ans pendant lesquels les ressources ont été pillées par le FLN et ses héritiers, la démocratie écrasée et dont on ne peut imputer la responsabilité à la France.
Tribune. Tous ceux qui travaillent sur la guerre d’Algérie vous le diront : on ne compte plus les fois où, en soirée, le temps d’une cigarette à la fenêtre, les gens se sont livrés : « Ah mais mon grand-père a fait la guerre d’Algérie ! » ; « Ma grand-mère, elle vient de Constantinople ou Constantine, je sais plus, tu connais ? » Oui, la colonisation de l’Algérie par la France, la guerre d’indépendance et les exils qu’elles ont engendrés ont laissé des traces profondes sur la société française. La démographie parle d’elle-même : 39 % des Français de 18 à 25 ans déclarent aujourd’hui avoir au moins un membre de leur famille affecté par cette histoire.
Dans cette France marquée intimement par l’Algérie, le discours dominant continue d’affirmer que la guerre d’Algérie est oubliée et qu’une « guerre des mémoires » gangrène la société. Pourtant, depuis des décennies, la guerre d’Algérie est largement documentée. Trois générations d’historiens ont fait leur travail. Elle figure dans les programmes scolaires depuis 1983. Des Parapluies de Cherbourg jusqu’aux chansons de Médine, elle infuse notre culture. Mis bout à bout, vingt ans de gestes mémoriels, de Lionel Jospin à Emmanuel Macron, démontrent que l’Etat est depuis longtemps sorti du silence.
Pour beaucoup de jeunes Français, l’Algérie est un héritage intime : c’est ce qui explique la tristesse dans le regard suspendu d’un grand-père un soir d’été, ce sont les bricks à l’œuf ou le couscous partagés chaque vendredi, les insultes en langue arabe ou… sur les Arabes. Ces traces font souvent l’objet de questionnements sur leurs origines familiales, sur leurs identités et parfois sur l’état de la société française. Mais elles sont rarement source d’animosité.
Des masques et des euphémismes
Que masque alors cette obsession autour de la guerre d’Algérie ? Une incapacité de la République à penser le colonialisme et ses traces, mais aussi une instrumentalisation de ce passé par des entrepreneurs identitaires. Il y a d’abord une difficulté à nommer les choses. La République ne s’est jamais dotée de mots pour dire la complexité du système colonial qu’elle instaurait en Algérie tout en se construisant elle-même. Le colonialisme fonctionne avec des masques et des euphémismes. Il est indicible tant il remet en cause le principe d’égalité qui constitue le fondement de l’idéologie républicaine. Cette aporie du vocabulaire est un lourd héritage nous empêchant de comprendre le caractère nécessairement structurel du système colonial en Algérie et de ce qu’il a produit en termes de subjectivités et de démographie.
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