«Le macronisme : libéralisme ou protectionnisme ? »

«Le macronisme : libéralisme ou protectionnisme ? ».

Bruno Alomar, économiste, est ancien haut fonctionnaire à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne s’interroge sur les contradictions entre les intentions initiales de Macron et ses évolutions dans la conjoncture actuelle (tribune dans l’opinion)

Au feu des responsabilités, le macronisme, qui se voulait un progressisme capable de renverser les conservatismes économiques, a-t-il perdu sa boussole ? Blairisme à la française, il avait placé au centre de son analyse l’économie française, et la nécessité absolue de la moderniser. De là toutes les réformes du début du quinquennat, depuis la transformation de l’ISF en IFI jusqu’à celle du marché du travail, en passant par la baisse de l’impôt sur les sociétés et une plus grande attention portée aux impôts de production.

Bien sûr la crise est passée par là et a considérablement remisé les ambitions initiales. Le mouvement des Gilets jaunes, l’augmentation puissante des déficits publics, la confirmation d’un déficit extérieur élevé, sont autant de pierres dans le jardin du bilan économique du pouvoir en place.

Pourtant, si une analyse objective impose de prendre en compte des rigidités qui ont pu être sous-estimées et une crise économique — comme celle de 2008 — qui n’est pas née en France, force est de constater un glissement de la doctrine économique gouvernementale. Car, en fait d’ouverture au monde et à la technologie, qui se voulaient ses marques de fabrique, voici que la politique gouvernementale emboîte le pas aux souverainistes et place au cœur de son action le concept de « souveraineté », devenu subitement à la mode. Ce faisant, c’est bien un message protectionniste que la France ne craint plus d’envoyer. Deux exemples l’attestent.

« Péril québécois ». Le premier concerne les rapprochements entre entreprises. Déjà l’affaire Alstom-Siemens en 2019 avait constitué une première alerte. Les autorités françaises, prises d’une bouffée de protectionnisme, avaient considéré le rejet de l’opération comme un « crime », suscitant l’incompréhension de la plupart de ses partenaires. Elles avaient brandi une menace chinoise non étayée. Après cette opération, pourtant présentée comme « de la dernière chance, » Alstom avait finalement — et heureusement — trouvé un autre accord avec Bombardier.

Et voici que, la semaine dernière, à la stupeur de beaucoup d’observateurs, le gouvernement interdit à Carrefour de discuter une offre amicale, alors même que l’Etat ne dispose d’aucune part au capital de ce dernier, en brandissant cette fois un risque pour la « souveraineté alimentaire », là encore peu étayé. Bruno Le Maire a d’ailleurs insisté sur le fait que faire obstacle à une offre étrangère concernant la chaîne Carrefour n’était, après tout, une question purement politique. Après le « péril jaune », le « péril québécois ».

« Le macronisme, à l’origine, n’avait pas de mots assez enthousiastes pour promouvoir la “start-up nation”. Or, la politique gouvernementale s’évertue désormais surtout à rendre les grandes entreprises américaines responsables des retards français en la matière »

Le second concerne le numérique. Le macronisme, à l’origine, n’avait pas de mots assez enthousiastes pour promouvoir la « start-up nation ». Or, la politique gouvernementale s’évertue désormais surtout à rendre les grandes entreprises américaines responsables des retards français en la matière. La France s’est ainsi enorgueillie de sa croisade pour l’imposition des Gafam, sans prendre le temps de mener sereinement une analyse coûts/avantages de leur influence globale qu’un pays comme l’Irlande, qui n’est pas moins bien géré, a pourtant faite.

Entraves. Le gouvernement se félicite aussi de pousser au niveau européen un agenda numérique souverainiste, avec comme héraut le commissaire Thierry Breton, notamment dans le domaine du droit de la concurrence (digital market act [DMA]). Ceci sans se rendre compte qu’opérer un deux poids deux mesures en défaveur de tel ou tel et au bénéfice des acteurs français c’est non seulement rompre de subtils équilibres entre Européens, mais également encourager les Etats-Unis, ou la Chine à des contre-mesures équivalentes.

Bien sûr, le gouvernement peut décider d’enfourcher le cheval du protectionnisme. Encore faut-il l’assumer et disposer d’une doctrine lisible par les agents économiques. Si la France veut faire obstacle à la liberté des capitaux, elle doit être prête à recevoir moins d’investissements directs étrangers, domaine dans lequel elle occupait le premier rang européen en 2019. Si elle souhaite empêcher les rachats de start-up européennes dans le domaine numérique sans baisser parallèlement la fiscalité pour la mettre au niveau de ses concurrents, elle le peut : qu’elle ne vienne pas ensuite se plaindre que les talents dans le domaine numérique préfèrent s’exporter.

Protéger l’économie est une chose, et tout n’est pas, soit à vendre, soit sans lien avec des intérêts de sécurité nationale. Dans le domaine militaire, la France a sans doute eu raison de s’opposer au rachat de Photonis par Teledyne. En prendre acte est une chose, et mobiliser occasionnellement les dispositifs de protection n’est pas illégitime. Prétendre en revanche poursuivre l’ouverture de l’économie française au vaste monde en multipliant, en réalité, les entraves et en assumant à mots à peine couverts un vrai glissement protectionniste en est une autre. Le « en même temps » y atteint ses limites.

Bruno Alomar, économiste, est ancien haut fonctionnaire à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne.

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