L’ enjeu de l’hydrogène
Laurent Favre (Plastic Omnium) évoque l’enjeu de l’hydrogène pour l’Europe.
La pandémie va laisser des traces et rebattre les cartes de l’industrie automobile mondiale. L’Europe, qui pratique en permanence le compromis sécurité sanitaire/maintien de l’activité, apparaît plus durablement touchée, constate Laurent Favre, directeur général de l’équipementier Plastic Omnium depuis le 1er janvier 2020…
Quel bilan et surtout quelles leçons tirez-vous de la pandémie ?
Evidemment, la première partie de 2020 a été très chaotique mais par temps de pandémie, être global est un avantage. Nous avons trente usines en Chine, d’où la pandémie est partie, ce qui nous a permis de préparer le reste du groupe, humainement et économiquement. Sur le plan sanitaire, nous avons mis en place un protocole unique dans toutes nos usines, ce qui a encore rapproché les équipes : chez Plastic Omnium, tout le monde travaillait de la même façon. Cela nous a fait prendre conscience à quel point il faut pouvoir se reposer sur une organisation fondée sur la cohésion et la solidarité des équipes.
Parallèlement, nous avons travaillé sur le monde de demain. Pas question de laisser la Covid-19 imposer son agenda ! Cette crise n’a fait qu’accélérer et amplifier les tendances lourdes qui se dessinaient. Depuis 2017, les volumes mondiaux de ventes de véhicules reculaient, sous l’influence des nouveaux usages et des exigences liées aux nouvelles mobilités. Il va falloir accélérer notre adaptation à ce nouveau contexte ; les sujets sociétaux et environnementaux sont d’ailleurs très présents dans les plans de relance mondiaux. Dans le groupe, nous nous sommes aussi rendu compte qu’on ne profitait pas à plein des outils digitaux, la visite virtuelle d’usines, le télétravail… De cette crise émergera un nouveau modèle de fonctionnement.
Quid de la conjoncture mondiale automobile. La pandémie rebat-elle les cartes ?
Le marché asiatique est reparti très rapidement. En Chine, les volumes au second semestre ont été supérieurs à ceux de la même période de 2019. L’Amérique du Nord a repris un fonctionnement quasi normal, cette région ayant clairement choisi de préserver l’économie. En revanche, l’Europe qui représente 55 % des débouchés du groupe, et pratique en permanence le compromis sécurité sanitaire/maintien de l’activité, apparaît plus durablement touchée.
Oui, cette crise va laisser des traces et rebattre les cartes car l’écart se creuse entre le Vieux continent et la Chine, en termes de croissance et de développement technologique. De ce fait, la pandémie va certainement fragmenter le marché de la mobilité. Le secteur fonctionnait autour de plateformes globales, desservant des implantations mondiales. L’avenir se dessine autour d’organisations beaucoup plus locales, répondant à des besoins spécifiques régionaux.
Dans ce contexte, les appels du gouvernement à la relocalisation ont-ils un sens ?
En l’occurrence, la France ne représente que 6 à 7 % de nos débouchés, et notre stratégie a toujours été de développer, d’acheter et de produire là où nous vendons. Pas question de produire en France ce que nous vendons en Chine et inversement ! Cela ne changera pas. En revanche, la chaîne logistique sera plus affectée. Avant la Covid, les barrières douanières, les fluctuations de taux de change, le débat grandissant sur la pollution liée au transport des pièces pesaient déjà en faveur de la localisation de ces chaînes. La crise amplifie ce besoin, on le voit aujourd’hui avec la pénurie de composants électroniques qui pénalise le secteur automobile.
Nouvelles mobilités égalent nouvelles productions. Cela entraîne-t-il des bouleversements chez Plastic Omnium ?
La première étape de la mobilité propre consiste à décarboner les moteurs thermiques, essence et diesel. C’est un gros marché pour Plastic Omnium qui est leader mondial des systèmes de dépollution. La deuxième étape, c’est l’hybridation des véhicules : on mixe moteurs à combustible et électrique, cela nécessite des réservoirs plus complexes, domaine dans lequel le groupe innove beaucoup.
Le « tout électrique » arrivera dans un troisième temps. Nous estimons qu’il représentera 30 % du marché mondial, dix fois plus qu’aujourd’hui, en 2030, avec de gros écarts par région. Ce sera sans doute plus important en Europe, moins aux Etats-Unis. Cela signifie que 70 % du marché sera toujours très « hybridé ». Nous préparons le coup d’après avec le moteur à hydrogène, qui est un véhicule électrique pour lequel le stockage de l’énergie se fait par le biais de réservoirs à hydrogène.
Où en est Plastic Omnium dans ce domaine ?
Depuis 2015, nous avons investi 200 millions d’euros dans le réservoir hydrogène à haute pression (700 bars), qui permet de maximiser la quantité d’énergie dans un minimum de place. La deuxième étape est la transformation de cette énergie en électricité, par la pile à combustible. C’est le sens du partenariat que nous avons conclu en octobre avec l’allemand ElringKlinger. Notre coentreprise, EKPO, a vocation à devenir le leader mondial de la pile à combustible. L’hydrogène est une vraie alternative au modèle 100 % batterie. Le consensus est qu’il n’y aura pas à l’avenir un seul mode de motorisation. La fragmentation régnera aussi dans ce domaine, avec d’un côté le 100 % batterie pour les véhicules urbains, de l’autre le 100 % hydrogène pour les poids lourds, et entre les deux une grande partie d’hybride, batterie/pile à combustible.
L’autre certitude est que l’Europe a une vraie carte à jouer dans l’hydrogène. Elle dispose des champions mondiaux de la production d’hydrogène et d’électricité décarbonée, ainsi que des savoir-faire. Le véritable enjeu, ce sont les infrastructures, les bornes de recharge notamment. C’est dans ce domaine que l’Europe est en train de prendre beaucoup de retard.
«Le soutien à court terme de l’économie est justifié, mais il est risqué. Dans notre secteur la perfusion pourra se révéler dangereuse si elle maintient artificiellement en vie des sous-traitants automobile qui étaient déjà mal en point avant la pandémie. La casse ne sera pas évitée, elle n’est que reportée»
Que pensez-vous des différents plans de soutien, français et européen, à la filière automobile et aux énergies propres ?
Le soutien à court terme de l’économie est justifié, mais il est risqué. L’Etat arrête l’économie, il l’empêche de couler, c’est normal. Mais dans notre secteur la perfusion pourra se révéler dangereuse si elle maintient artificiellement en vie des sous-traitants automobile qui étaient déjà mal en point avant la pandémie. La casse ne sera pas évitée, elle n’est que reportée. En revanche, les mesures structurelles, les plans visant à développer une industrie de l’hydrogène par exemple, sont une très bonne chose. L’Europe a là une occasion de reprendre la main. C’est une vraie opportunité ! Dans ce domaine, notre ambition est de profiter non pas de subventions, mais de l’écosystème et des infrastructures que ces plans doivent permettre d’installer.
En France, la vente de voitures est retombée à son niveau de 1975. Comment le marché peut-il se redresser ?
Là encore, la pandémie n’a fait qu’amplifier une tendance. Les décisions des constructeurs annonçaient déjà une baisse de 20 % de la production dans notre pays. Bon nombre de nouveaux modèles ne sont plus assemblés en France. Au-delà du marché français, le monde automobile « fantasmait » beaucoup avant la crise sur l’objectif de 100 millions de véhicules produits en un an. Notre scénario n’envisage pas cette hypothèse pour les prochaines années.
La croissance en volume telle qu’elle a pu être observée depuis une quinzaine d’années n’aura pas lieu. Le marché va-t-il plafonner à 80 ou 85 millions de véhicules ? Notre certitude est que l’évolution des usages et de la mobilité indique que la croissance future se mesurera en termes de contenu technologique et non d’unités vendues. Telle est d’ailleurs notre ambition : il faut de plus en plus de technologie, d’innovation et de valeur ajoutée de Plastic Omnium dans chaque véhicule. Tous nos produits auront demain davantage de fonctionnalités. C’est vrai pour toute l’industrie : l’innovation et la R & D feront plus que jamais la différence.
Quelle est votre stratégie dans ce domaine ?
La R & D représente 5 % de notre chiffre d’affaires. Ceux qui n’auront pas les moyens de suivre le rythme seront fragilisés. Cela préfigure sans doute une vague de consolidations dans le secteur au cours des 18-24 prochains mois, Plastic Omnium a la volonté et les moyens d’être un agent consolidateur. Et il dispose de l’atout majeur d’un actionnariat stable. Sur l’hydrogène, la France sera notre centre de gravité. Nous allons concentrer notre recherche sur deux sites, à Compiègne et en Chine. En matière de R & D, il n’y a pas de déclassement européen. Il faut absolument capitaliser sur cet atout et ne pas se laisser distancer.
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