Vaccin : la logistique oubliée !
Alors que la logistique constitue un élément essentiel dans les nouveaux processus de production et de distribution dans l’économie, l’administration ignore encore souvent le mot surtout au ministère de la santé.
Toute l’économie repose sur le concept de flux tendus qui permet d’approvisionner en permanence la production et la distribution. Dans l’administration de la santé par contre on n’en est resté au concept de stockage des années 50.
Ancien responsable logistique dans un grand groupe et chercheur dans ce domaine, François-Michel Lambert, député écologiste (LEF) des Bouches-du-Rhône, a présidé la commission nationale logistique entre 2015 et 2019, une instance qui était chargée d’améliorer les performances de l’État en la matière. À ses yeux, le démarrage lent de la campagne vaccinale s’explique par des failles organisationnelles récentes et par d’anciennes faiblesses structurelles.( Interview dans le JDD)
Partagez-vous le diagnostic de beaucoup d’élus qui imputent le lent démarrage de la campagne vaccinale à des failles logistiques?
Nous ne sommes pas prêts à vacciner car nous ne nous sommes pas suffisamment préparés. Au moment de lancer une opération à l’étranger, l’armée française est entraînée. L’industrie, textile ou automobile en particulier, excelle, elle aussi, dans l’art d’organiser des flux tendus, c’est-à-dire zéro stock. Dès l’été, les Allemands ont rodé leurs canaux de distribution de vaccins. Et nous, qu’avons-nous fait pour aboutir à un résultat aussi affligeant? Jusqu’à aujourd’hui, les congélateurs sont restés pleins et du vaccin a été gâché car, après cinq injections, il reste dans les flacons du liquide qui peut permettre une sixième injection si on a le patient en face. Ce début chaotique est le symptôme d’une logistique défaillante.
En quoi est-ce aberrant d’un point de vue logistique?
La logistique, ce n’est pas qu’une question de camions et de congélateurs, de transport et de stockage, les seuls sujets dont on entend parler. C’est l’art de bien gérer la rareté des ressources, d’organiser l’ensemble du système pour atteindre l’objectif. En l’occurrence aujourd’hui, de déterminer comment avoir le bon vaccin au bon moment à la bonne température, injecté par la bonne personne au bon patient. On ne devrait pas avoir de stock ; aucun vaccin ne doit rester dans les congélateurs où il ne sert à rien, il doit être dans le corps des patients. Il n’est pas étonnant que les Israéliens soient en tête dans la course au vaccin. Dans ce pays où a été inventé le goutte-à-goutte pour l’irrigation des vergers, la culture de la rareté génère partout de la performance.
Qu’aurait-on pu faire autrement?
La recommandation par la Haute Autorité de santé de vacciner en priorité les résidents des Ehpad est pertinente du point de vue sanitaire mais ce ne pouvait pas être la seule priorité de janvier. Il aurait fallu prévoir de commencer aussi la vaccination par des publics plus faciles à atteindre – ce qui a finalement été fait cette semaine avec les professionnels de santé de plus de 50 ans, on aurait même pu aller jusqu’aux étudiants. Ainsi on vise le zéro stock, en flux tendu, et on accélère l’efficacité de l’immunité collective. Pour cela, il faudrait disposer d’un outil de gestion des données à la hauteur de l’enjeu. Visiblement, le système n’est pas encore tout à fait au point.
Ces difficultés seraient-elles le symptôme d’un handicap français?
Durant la crise du Covid, la stratégie logistique n’a pas été une priorité pour l’État et des administrations, comme l’a montré le général Richard Lizurey dans son rapport sur la gestion de la première vague. J’ai tenté d’alerter le gouvernement dès le 24 mars sur la nécessité de se doter de renforts humains en stratégie logistique car je savais que la crise allait accentuer nos faiblesses structurelles. Dans les enquêtes sur les performances logistiques de la Banque mondiale, la France se classe seulement 16e, et 8e au niveau européen. Sans surprise, les Allemands, qui vaccinent à la chaîne, sont, eux, classés premiers! Une partie de leur réussite industrielle s’explique par l’efficience de leur système d’organisation. Au contraire, nous qui avons pourtant d’excellents experts dans le domaine, perdons chaque année plus de 20 milliards d’euros à cause de dysfonctionnements logistiques.
J’alerte sur l’effondrement de l’expertise logistique publique, sur la perte de ces talents capables de repenser nos systèmes
Cette sous-performance française est-elle passée inaperçue?
Quand il était ministre de l’Économie, Emmanuel Macron avait identifié ce handicap, créé un pôle d’expertise de l’État, en orchestrant notamment une montée en compétence des agents. Mais à partir de 2017, tout a été démantelé. La dizaine d’ingénieurs spécialement formés se sont trouvés parachutés dans d’autres fonctions car Élisabeth Borne, alors ministre des Transports, n’en avait pas fait une priorité. Depuis, j’alerte sur l’effondrement de l’expertise logistique publique, sur la perte de ces talents capables de repenser nos systèmes. En vain : d’une volonté politique de faire de la logistique un outil au service des politiques publiques, on est passé à une politique économique au service des acteurs privés de la filière.
Cet abandon de la logistique publique explique-t-il l’appel à des cabinets d’audit externes pour planifier la campagne vaccinale?
Bien sûr mais, faute d’experts publics, il était impératif de faire appel à ces consultants. Sans eux, la faillite serait sans doute encore plus grande.
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