Vaccination : : une impréparation totale des pouvoirs publics
Philippe Juvin est professeur de médecine, chef du service des urgences de l’hôpital européen Georges-Pompidou et maire LR de La Garenne-Colombes (Hauts-de-Seine); il dénonce dans une interview à l’Opinion l’impréparation totale des pouvoirs publics concernant la vaccination..
La France a réalisé 70 vaccinations en quarante-huit heures, contre 21 500 en Allemagne. Le gouvernement justifie ce rythme par la défiance de la population. Est-ce une explication pertinente ?
Toute vaccination repose sur deux éléments clés : la confiance des patients et une logistique très au point. Prétendre que l’on va lentement parce que les gens n’ont pas confiance, c’est prendre le problème à l’envers. Les autorités gouvernementales avaient plusieurs semaines pour bâtir cette confiance. Il est frappant de voir qu’elles ne présentent la vaccination que par ses côtés négatifs et ses risques. Il n’y a pas en France le début d’une campagne officielle expliquant les avantages et inconvénients du vaccin ! Les gens qui souhaitent ne pas se faire vacciner doivent le faire sur des arguments scientifiques, pas par ignorance. Or l’exécutif se nourrit de cette défiance, objective, pour dire « on n’y va pas ». Sans tenter d’y remédier. Cela pose aussi la question de l’exemplarité. Pourquoi le Premier ministre ou le ministre de la Santé ne se vaccinent-ils pas publiquement ? Les dirigeants peuvent se mettre en scène pour rassurer, comme Joe Biden aux Etats-Unis. Chez nous, ils se reposent sur Mauricette dans son Ehpad. C’est une erreur.
Cela suffirait-il ? Selon les enquêtes, près de 60% des Français ne souhaitent pas se faire vacciner…
Il faut distinguer les « antivax », minoritaires, des gens qui ne sont pas assez informés. Ceux-là, il faut aller les chercher en mettant sur la table les arguments, en toute transparence. L’enjeu de société est de ne plus avoir à choisir entre sa santé et sa liberté. Aujourd’hui, une part de la liberté de tous est sacrifiée et la Covid-19 continue de faire des morts. La vaccination est la seule manière de sortir des confinements successifs et du risque de contamination, mais cela n’est pas clairement politiquement assumé. D’où la défiance.
«Le premier pays qui va sortir de la crise avec une part significative de sa population vaccinée aura un avantage compétitif considérable»
Selon le gouvernement, le recueil du consentement prend du temps. Aurait-il pu être anticipé, alors que la Haute autorité de santé n’a rendu son avis que le 24 décembre ?
C’est une fausse explication. Tout acte médical doit être précédé du consentement éclairé du patient : le médecin explique la situation au malade. C’est une règle absolue. Mais nulle part il est dit qu’il faut une procédure lourde et un document écrit — une signature ne constituant pas même en droit la preuve d’un consentement éclairé. Le protocole actuel est à la fois une complication française et un alibi pour justifier notre retard qui est lié à notre absence d’organisation. Car, même en passant par là, cela n’explique pas l’écart abyssal entre les 70 vaccinations en France et les 21 500 en Allemagne, les 4 800 au Danemark ou les 2 000 en Pologne, pour ne citer que les pays européens qui ont commencé à vacciner dimanche. Et trois semaines de mise en route d’ici mi-janvier, c’est aussi plusieurs milliers de morts si l’épidémie reprend. Ce sont des arguties masquant le fait que l’exécutif n’est pas capable d’organiser une vaccination de masse. Il ne s’est pas préparé.
L’exécutif a annoncé l’achat de 200 millions de doses au total. Comment expliquer l’écart entre sa communication offensive sur l’approvisionnement et sa prudence extrême aujourd’hui ?
C’est la logistique qui est défaillante. Nous vivons depuis février une crise logistique et d’organisation. Mi-novembre, l’Allemagne préparait ses vaccinodromes pour sa population générale, alors que nous en sommes à distribuer le vaccin au compte-gouttes dans une vingtaine d’Ehpad. Des membres du comité scientifique s’inquiétaient déjà le mois dernier que la logistique ne suive pas. Supercongélateurs, personnels qui administrent le vaccin, organisation de la deuxième injection : tout cela fait défaut. L’exécutif a décidé de s’appuyer sur l’administration centrale plutôt que sur des logisticiens de métier, sur l’armée ou sur les collectivités territoriales. Aux Etats-Unis, la vaccination est organisée par un général et en Allemagne, par les Länder. Emmanuel Macron a-t-il voulu faire oublier les échecs sur les masques et les tests, et accrocher coûte que coûte une victoire à son drapeau en décrétant que l’administration de l’Etat parviendrait à organiser la vaccination des Français ? En tout cas, les Allemands ont une stratégie vaccinale, nous pas. Pareil sur les publics cibles. Vacciner seulement les personnes âgées en première phase est une erreur ; il faudrait inclure les soignants de première ligne. Nous revenons à nos grands défauts du printemps. Le premier pays qui va sortir de la crise avec une part significative de sa population vaccinée aura un avantage compétitif considérable, et je crains que nous soyons déjà en train de courir derrière.
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