Le dangereux pari d’une seule monnaie à Cuba
Janette Habel, chercheuse à l’Institut des hautes études de l’Amérique latine, voit dans cette nouvelle étape de libéralisation de l’économie cubaine un « processus de transition économique et générationnelle à l’issue risquée et incertaine ». (Tribune au monde)
Après plusieurs années d’atermoiements, el dia zero (le jour J) approche : le 1er janvier 2021, Cuba unifiera son système monétaire en abandonnant l’une des deux monnaies locales. La réforme monétaire prévoit l’abandon du peso convertible (CUC), aligné artificiellement sur le dollar américain et d’abord réservé au secteur touristique. Seul demeure le peso cubain (CUP), à un taux de change fixé à 24 pesos pour un dollar.
Une « refondation économique à hauts risques », estime Janette Habel, chercheuse à l’Institut des hautes études de l’Amérique latine, spécialiste de Cuba. A travers cette nouvelle réforme libérale, elle explique au Monde comment l’île complète sa mue économique, politique et sociale depuis plusieurs années.
Il s’agit également d’une période difficile sur le plan politique puisqu’une génération – celle des frères Castro – disparaît pour des raisons biologiques. Et, avec elle, la légitimité du révolutionnaire que le président Miguel Diaz-Canel n’aura jamais. Et même s’il prend soin d’annoncer les réformes aux côtés de l’ancien président Raul Castro, cette légitimité passée doit être remplacée par une légalité institutionnelle.
C’est ce qui a été initié avec la signature, en 2018, de la nouvelle Constitution, qui rétablit, par exemple, un poste de premier ministre. C’est aussi délicat parce que le gouvernement actuel est en proie à de grandes dissensions. Le prochain congrès du Parti communiste de Cuba [PCC], qui doit se tenir en 2021, nommera un nouveau chef de parti – logiquement l’actuel président à la place de Raul Castro – et asseoir la légitimité de M. Diaz-Canel.
Enfin, c’est donc une refonte nationale gigantesque qui intervient alors que les pénuries n’ont jamais été aussi importantes et que la population est déjà très mécontente. Notamment de l’ouverture de ces magasins d’électroménager, en 2019, où l’on ne peut payer qu’en dollar avec une carte bancaire. Cela suppose que les Cubains disposent d’un compte alimenté dans la devise, ce qui n’est pas le cas pour la grande majorité d’entre eux. Et l’unification des monnaies et des taux de change ne devrait qu’aggraver ces inégalités.
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