«Ne pas céder à la naïveté face à la Chine »

«Ne pas céder à la naïveté face à la Chine »

Yves Perez est professeur émérite et ancien doyen de la faculté de droit de l’Université catholique de l’Ouest à Angers, s’appuie sur l’exemple de l’Australie pour démontrer qu’il ne faut pas céder à la naïveté face à la Chine. Il est l’auteur des Vertus du protectionnisme (L’Artilleur, janvier 2020). (Chronique dans le Figaro)


L’encre de l’accord de libre-échange signé entre la Chine et les pays de la zone Asie-Pacifique n’était pas encore sèche que la Chine s’en prenait à l’un de ses partenaires commerciaux: l’Australie.

Ce nouveau différend commercial nous incite à considérer avec la plus grande prudence les «progrès» du libre-échange dans cette zone du monde. Les partisans du libre-échange feraient bien aussi de se trouver d’autres champions que la Chine.

La Chine est un gros client de l’Australie, le plus gros même. Elle absorbe 40% des importations totales de ce pays. L’Australie est donc très dépendante de la Chine sur le plan commercial. Depuis le mois de septembre, la Chine a imposé des droits de douane sur différents produits importés d’Australie. Ainsi, les droits de douane chinois ont été relevés de … 80% sur les importations australiennes d’orge.

Les exportations de vin australien vers la Chine, qui ont déjà baissé de 14% depuis le début de l’année 2020 du fait de la pandémie, ont été bloquées par la Chine. Pékin a aussi suspendu ses importations de bœuf en provenance de quatre entreprises australiennes. Ces mesures portent sur 20% des importations totales de bœuf australien en Chine. Celle-ci a également décidé de bloquer les langoustes en provenance d’Australie sur le tarmac de l’aéroport de Shangaï et d’interdire les importations de bois du Queensland. D ’autres mesures de blocage des importations et de relèvement des droits de douane sont envisagées contre le cuivre et le sucre d’Australie.

Quelles mesures de représailles australiennes seraient crédibles face à la Chine tant le face à face entre les deux pays est déséquilibré ?

Enfin, le gouvernement chinois va réduire de façon drastique les flux de touristes vers l’Australie. Or, le tourisme et, en particulier, les touristes venus de Chine, représentent une ressource importante pour l’économie australienne.

Mais le contentieux commercial entre les deux pays s’est cristallisé autour du charbon. L’Australie exporte une part importante de son charbon vers la Chine. Or, depuis le mois de septembre 2020, le gouvernement de Pékin a demandé à ses industries et à ses ports de cesser tout achat de charbon australien.

Par ces mesures, la Chine vise à diminuer d’au moins 10% ses importations de charbon australien. Ces mesures, comme les autres , ont été décidées de façon unilatérale. Résultat: le prix de référence du charbon a connu sa plus forte baisse depuis quatre ans. Le gouvernement australien a été pris au dépourvu par cette offensive brutale de la Chine. Il a décidé de ne pas répondre de la même façon. D’ailleurs, le pourrait-il? Quelles mesures de représailles australiennes seraient crédibles face à la Chine tant le face à face entre les deux pays est déséquilibré?

Toutefois, le Parlement australien vient d’adopter une loi qui permet au gouvernement d’annuler un accord commercial signé avec un pays qui ne respecterait pas ses engagements. En attendant, l’Australie s’apprête à plaider sa cause devant l’OMC. Mais comment expliquer cette brusque détérioration des relations commerciales entre ces deux pays?

Les griefs chinois contre l’Australie mêlent étroitement l’économique et le politique. Tout d’abord, et faisant suite aux pressions de Washington, le gouvernement australien a exclu Huawei des appels d’offre pour l’installation du réseau 5G dans ce pays, et cela dès 2018. Le gouvernement de Canberra a aussi mis son veto sur une dizaine de projets d’investissements chinois dans le secteur minier et dans l’industrie en Australie.

Mais, les griefs de Pékin ne se limitent pas à l’économie. Ils englobent aussi le politique et ils sont lourds. Ainsi, l’Australie a été le premier pays au monde à réclamer , dès le début de l’année 2020, une enquête indépendante pour déterminer l’origine du virus de la Covid-19 apparu en Chine. Pékin n’a pas du tout apprécié cette initiative. La Chine s’est plainte également de la façon dont la presse australienne parle de la politique chinoise.

Derrière les mesures commerciales prises par la Chine contre l’Australie apparaît l’idée d’un droit de regard de Pékin sur la façon dont un pays étranger, (…) parle de la Chine

Pékin n’accepte pas les critiques formulées à son encontre par l’Australie au sujet de la répression à Hong Kong, au Sin-Kiang et des menaces perpétrées par la marine chinoise en mer du Japon. Derrière les mesures commerciales prises par la Chine contre l’Australie apparaît l’idée d’un droit de regard de Pékin sur la façon dont un pays étranger, de surcroît partenaire commercial, parle de la Chine. Un diplomate chinois a récemment formulé les choses d’une manière abrupte: si vous traitez la Chine en ennemi, la Chine vous traitera en ennemi. Reconnaissons que nous sommes plus proches des thèses de Carl Schmitt que de celles de David Ricardo.

Par ailleurs, la marine australienne a participé aux côtés des marines américaine, indienne et japonaise à des manœuvres aéronavales dans l’océan indien, le long des routes maritimes de la soie. En représailles, la Chine a diffusé sur Twitter, l’image d’un soldat des forces spéciales australiennes, menaçant d’un couteau un enfant Afghan. Le gouvernement conservateur de Scott Morrison a argué qu’il s’agissait d’un montage et exigé des excuses de la part de Pékin, qui a superbement ignoré cette demande.

Cette crise commerciale sino-australienne est porteuse d’enseignements qui vont bien au-delà des rivages du Pacifique. Ils valent aussi pour les Européens qui ont trop longtemps eu tendance à considérer que commercer avec la Chine était la même chose que commercer avec le Canada ou la Suède. Certes, les plus optimistes parmi les libre-échangistes diront que l’Union Européenne est moins dépendante de la Chine que l’Australie, ce qui est vrai.

Toutefois, cette dépendance est croissante et la crise sanitaire a illustré les risques qu’il y avait à trop dépendre de l’Empire du Milieu pour certaines productions essentielles à notre souveraineté comme, par exemple, le pharmaceutique et le médical. S’il faut continuer à commercer avec la Chine, gardons l’œil ouvert et ne cédons pas à la naïveté.

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