Loi de « sécurité globale » : la place du citoyen ?
Que signifie un texte dans lequel pas même une ligne n’évoque le contrôle des forces de l’ordre par les citoyens ?, s’interroge le philosophe Yves Roucaute dans une tribune au « Monde ». Au-delà de l’article 24, qu’il fustige, il dénonce la tentation autocratique du gouvernement
Tribune.
« Mon travail, c’est de protéger ceux qui nous protègent », proclame Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur français. Diantre ! Sa première mission ne serait donc pas de protéger les citoyens ? Alors qu’une nouvelle bavure a conduit à tabasser un citoyen producteur de musique [Michel Zecler], la question posée, il y a deux mille ans, aux citoyens romains par le poète satirique romain Juvénal devient d’actualité.
Face aux forces de l’ordre de l’empereur Domitien (51-96) qui violentaient et tuaient les citoyens épris de liberté au nom de la sécurité de Rome, il demanda : « Qui nous protégera de ceux qui nous protègent ? » Certes, la tyrannie n’est pas notre horizon, mais que signifie cette loi de « sécurité globale » dans laquelle pas un article, pas un paragraphe, pas même une ligne n’évoque le contrôle des forces de l’ordre par les citoyens ? Et qui, par son article 24, menace d’un an de prison quiconque diffuserait l’image ou des moyens d’identification des policiers en intervention ? La République est indéniablement en marche… mais vers quoi ?
Etonnant texte qui prétend défendre les forces de l’ordre bien que menaces, insultes et violences contre elles soient depuis longtemps sévèrement punies par la loi. Dans un pays où il existe 84 619 articles législatifs et 233 048 articles réglementaires, est-elle destinée à pouvoir jouer avec le Rassemblement national à « plus sécuritaire que toi » ?
Et il faut beaucoup d’imagination pour appeler loi de « sécurité globale », cet invraisemblable bric-à-brac de 34 articles qui se réduit à la police municipale, aux entreprises de sécurité privée, à la vidéoprotection, aux forces de sécurité intérieure.
Bureaucrates sans talent
Hélas ! On rit moins devant cet article 24, qui a attiré les foudres de tous les amis de la liberté, de gauche à droite. Signe, peut-être, de la malédiction autocratique qui touche cette Ve République quand elle est dirigée par des bureaucrates sans talent.
Interdire de filmer la police ? Si elle agit selon le droit, qu’a-t-elle à craindre ? Pour des opérations sensibles, n’est-elle pas cagoulée ? Ou bien faut-il admettre que le policier muni d’une arme devrait être protégé de la dangerosité du citoyen armé d’un smartphone… ou d’une partition de musique ?
Dans cette nouvelle République, il appartiendrait aux seules forces de l’ordre de décider si la personne qui les filme par « quelque moyen que ce soit » est « manifestement malveillante ». Comment le savoir avant l’acte ? Le premier ministre donne la clef : l’« intention » de nuire compte. Voilà les forces du ministère de l’intérieur expertes en for intérieur. Défiant cartomanciens et astrologues, avec leur art divinatoire, elles plongent dans la conscience du quidam qui sort son smartphone pour y découvrir son intention de potentielle « malveillance ». Voilà le crime de virtuelle lèse-majesté policière.
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